Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/642

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
636
REVUE DES DEUX MONDES.

même assez inquiétant… Cependant il ne désespère pas d’une issue favorable, mais assurément ce sera long. »

Mme Landemare eut un geste navré : « Ce qu’il me faut alors, monsieur Palfrène, c’est de savoir si mon mari a été soigné… à votre idée, car, vraiment, avec tous les poisons que l’a forcé de prendre M. Valadier… et qui, pour moi, lui ont brûlé les sangs… »

Le vieux praticien sourit, secoua la tête comme s’il trouvait la question embarrassante, puis se caressa la barbe en silence ; enfin, faisant un grand effort : « Quant à cela, je ne sais pas si je l’aurais soigné ainsi… Cela ne veut pas dire que le docteur Valadier… ait eu tort d’appliquer les méthodes nouvelles qu’il connaît ; mais, moi, qui ne suis pas un savant, je n’applique que les vieux remèdes de nos pères. » Valadier proféra sèchement : « C’est ça, vous l’auriez purgé, saigné… — Eh bien, interrompit la femme, ça aurait peut-être mieux valu… Pour moi, c’est du sang qu’il a de trop au cœur, qui l’étouffé. — Madame, répliqua Valadier, les plus grands médecins m’ont enseigné à l’hôpital qu’on n’a jamais de sang de trop.

— Ce n’est pas tout à fait mon avis, déclara Palfrène. Ça dépend, tout au moins, des circonstances. D’un autre côté, il faut bien reconnaître, ma bonne dame, que la médecine reste une science incertaine. Comme l’a dit le plus grand capitaine du siècle. Napoléon, — je sais ça parce que mon père était chirurgien de la Garde, — le corps humain est une machine si fragile que c’est merveille si… » Valadier l’interrompit avec colère. Il éclatait : « Comment, confrère, vous osez critiquer mon traitement quand tout à l’heure, là, dans la cuisine, en causant devant la cheminée, nous étions d’accord, absolument d’accord. Vous disiez !… — Et qu’est-ce que je disais donc ? » reprit le vieux, payant d’audace, braquant tout droit sur l’autre ses petits yeux de Cosaque.

Valadier aurait été bien embarrassé de le dire. Décontenancé, il balbutia à demi-voix : « Oui, c’est ça, vous êtes plus malin que les autres, vous ! »

La maîtresse se mouchait, essuyait une larme : « Allons, ma bonne dame, ne vous désolez pas, disait Palfrène. Votre mari, en somme, paraît robuste. Il est encore bien vivant, et, comme on dit, « où il y a de la vie, il y a toujours de l’espoir… » Sur ce, si vous permettez, je m’en vais… Je crois que l’on a préparé la petite voiture. »