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ouverte pour l’érection d’un monument expiatoire. Veuillez accepter cette offrande, etc. »


« Jamais, dit M. de Falloux, le droit et la justice n’ont adressé à la violence et à la force un plus fier et plus intrépide regard ; jamais on n’a résumé si brièvement et si solennellement à la fois une situation, une protestation et un appel. »

Cependant les forces du malade déclinaient à vue d’œil ; le 17 novembre Berryer reçoit les derniers sacremens, appelle son notaire et s’enferme longuement avec lui ; la nuit venue, la sœur qui le soignait le voit avec stupeur se lever, ranger des papiers, aller et venir dans son cabinet ; à ses remontrances, à ses prières, il répond avec fermeté : « Non, non, ma sœur, ne m’empêchez pas de faire ce que je dois, il faut que je fasse mes adieux au roi. » Et, d’une main mal assurée, les yeux pleins de larmes, lentement, péniblement, il trace sur le papier ces quelques lignes que Montalembert célèbre comme « un des plus beaux cris qui soient jamais sortis de l’âme humaine » :

« O Monseigneur ! O mon roi ! on me dit que je touche à ma dernière heure.

« Je meurs avec la douleur de n’avoir pas vu le triomphe de vos droits héréditaires, consacrant l’établissement et le développement des libertés dont notre patrie a besoin. Je porte ces vœux au ciel pour Votre Majesté, pour Sa Majesté la reine, pour notre chère France.

« Pour qu’ils soient moins indignes d’être exaucés par Dieu, je quitte la vie armé de tous les secours de notre sainte religion.

« Adieu, sire, que Dieu vous protège et sauve la France !

« Votre dévoué et fidèle sujet,

« BERRYER. »


Mourir à Augerville, y reposer à côté des siens, avait été sa pensée, sa volonté constante. Nélaton ayant permis le voyage, il partit avec une joie fébrile, et, pendant neuf jours encore, il goûta le bonheur de vivre en ce lieu si aimé, entouré de sa famille, de MM, Andral et de Falloux qui ne le quittèrent plus, recevant des visites, son curé, MM. de Rocheplatte, Louis de Chateaubriand, Mgr Dupanloup, contemplant avec délices, quand ses forces le permettaient, ses fleurs, ses arbres, cet horizon plein de souvenirs, gardant, au milieu de ses souffrances, toute sa fermeté d’esprit.

Il entra dans le repos éternel, le 28 novembre 1868, à quatre