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la mairie s’ouvrent, des agens de police s’avancent, et, les représentans ayant déclaré qu’ils ne sortiront que par la force, ils les prennent par le bras, les conduisent, entre deux haies de soldats, à la caserne du quai d’Orsay. On sait le reste : les uns, comme Berryer, remis le surlendemain en liberté, d’autres retenus prisonniers, puis expulsés du territoire. En apprenant que leurs maris étaient détenus au Mont-Valérien, la femme d’un représentant dit à sa belle-sœur qui se lamentait ce mot de Romaine : « Où voudrais-tu donc qu’ils fussent ? »

Berryer rentra dans la vie privée. Sa tristesse, ses inquiétudes, ses regrets furent presque sa seule politique ; les salons, la vie de famille, l’amitié, la causerie, le barreau sa consolation. Il eut aussi la joie de sa réception à l’Académie française, où il fut élu le même jour qu’Alfred de Musset, et celle plus grande de la visite du duc de Nemours à Frohsdorf, le 17 novembre 1857, au nom de ses frères et de sa mère, visite suivie d’une rencontre de la reine Marie-Amélie et du Comte de Chambord à Nervi. Il avait refusé la candidature que lui offraient en 1852 les électeurs marseillais. Qu’irait-il faire dans une chambre destituée d’indépendance, d’action publique ? Et puis son propre parti ne lui ménageait guère les avanies : dès avant 1848, M. de Genoude, rédacteur en chef de la Gazette de France, l’appela un jour le Maroto de la légitimité, du nom d’un général espagnol qui trahit don Carlos. Heureux encore quand les légitimistes d’action se contentent de le traiter d’éloquent endormeur, de regretter que pour conduire un régiment on ait choisi un clairon. Après 1852, les royalistes dissidens gagnent du lorrain auprès du Comte de Chambord ; le succès du 2 décembre, accompli en dehors des parlementaires et contre eux, leur fournit un spécieux argument. Avant tout, une organisation militaire, et, quant à l’organisation politique, plus d’influences intermédiaires, une armée prête à marcher sous l’unique direction du roi, en attendant, l’abstention électorale : voilà le système qui triomphe dès le mois de juillet 1852. Comme si les principes politiques étaient faits pour vivre dans les Musées ! C’est vainement que M. de Falloux citera au Comte de Chambord cette pensée de Machiavel : un prince se juge surtout par les hommes qui l’entourent, vainement qu’il répétera que l’inébranlable confiance d’Henri IV en Sully, de Louis XIII en Richelieu honorèrent et servirent ces rois, en vain qu’il rappellera cette réflexion de Bossuet :