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prendre la responsabilité d’une révolution, il faut être un fou, un scélérat ou un Dieu. » Le lendemain même, à deux conseillers du comte de Chambord qui l’interrogent sur ce qu’il faut faire : « La réconciliation », répond-il.

Refaire la royauté dans les esprits, calmer les impatiences de ses amis, lutter contre les divisions de la majorité, dissiper les inquiétudes produites par certains actes de son prince, telle fut sa pensée constante, tel son effort de tous les jours : effort d’autant plus méritoire qu’il a lui-même ses heures de pessimisme clairvoyant. « Mon âme est triste jusqu’à la mort, écrit-il un mois avant l’élection du 10 décembre, car les légitimistes n’ont point de candidat, et nous ne pouvons faire qu’une chose inévitablement funeste à la liberté et à la sécurité du pays. » Son entreprise, les faits l’ont prouvé, se heurtait tout au moins à deux obstacles insurmontables : Louis-Napoléon, le comte de Chambord ; mais, en se plaçant au point de vue légitimiste, cette tactique seule était rationnelle. Pendant les quatre ans de la seconde république, il poursuivit courageusement sa noble chimère, toujours écouté, admiré, sinon suivi par ses collègues, acceptant les fonctions de rapporteur du budget, bien que le travail écrit lui répugnât, parce que les finances sont des intérêts permanens, et qu’en les défendant on mérite bien de sa patrie, de son parti ; rendant visite aux princes d’Orléans en Angleterre, conduisant ou envoyant au comte de Chambord, à Wiesbaden, à Venise, les hommes les plus propres à le maintenir dans la ligne parlementaire. A Wiesbaden, le prince avait voulu qu’il logeât dans sa maison même. « J’ai le bonheur de le voir ainsi presque à toute heure du jour. Je l’admire, je l’aime, il m’étonne et m’émeut de plus en plus. » Emotion poussée à l’excès, car Berryer, qui, de loin, prenait les plus mâles résolutions, de près ne savait guère se résigner à contrarier son prince. M. de Falloux le mettait en garde contre ces attendrissemens, et Berryer de lui répondre : « Vous avez probablement raison ; oui, le comte de Chambord a de grosses écailles sur les yeux, mais dès qu’il touchera le sol de la patrie, ces écailles tomberont et vous verrez un beau règne. » Seulement ce n’est pas la même chose de monter à cheval et de se bien tenir à cheval.

A la Chambre, les chefs du groupe fusionniste croyaient traiter avec le roi, quand ils traitaient avec lui ; MM. Guizot, Duchâtel, Molé, Montalivet entraient avec lui dans le comité de direction du journal l’Assemblée nationale. Cent cinquante légitimistes formant