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prenant en politique le chemin des écoliers ou des poètes, plus éclatant qu’efficace, récitant avec des accens superbes la légende ou le roman de la légitimité : et ils répétaient volontiers : « Il serait bien embarrassé le jour où il deviendrait embarrassant. » Aucun grand orateur n’a été, de son vivant l’objet de telles apothéoses. « Avant de vous avoir entendu, écrit Chateaubriand, je ne savais pas ce que c’était qu’un orateur. » Après son discours du 3 décembre 1840 sur la question d’Orient, Armand Carrel écrit dans le National : « La parole est à Berryer, et après lui, elle ne sera plus à personne. La parole lui appartient, comme le marbre appartenait à Michel-Ange, la couleur à Rubens, l’harmonie à Beethoven. La parole, c’est le relief de ses idées, les accens de sa voix, l’énergie de son geste, c’est l’expansion d’une âme qui ne se livre à vous que pour vous mieux pénétrer. La parole, une telle parole, c’est le plus beau don du ciel ; c’est la plus grande puissance de la terre. »

La spirituelle Mme Hamelin, celle qu’on appelait la jolie laide, et qui entretint avec lui une longue correspondance, disait à ses amis : « J’ai entendu Napoléon et Berryer : cela me console de vieillir. » — M. de Salvandy, celui-là même qui se surnommait modestement : le Chateaubriand de la branche cadette, lui écrit en 1851 : « Je n’avais jamais vu la parole humaine arriver à cette puissance : vous avez proclamé, inauguré, couronné le roi à la tribune en pleine république... depuis l’héroïne d’Orléans, jamais sujet n’avait ainsi fait reconnaître le roi. » — X. Doudan observe à la même époque dans sa correspondance : « M. Berryer a eu tout l’éclat d’un beau coup de tonnerre au haut des montagnes. J’eusse mieux aimé que ces foudres vinssent de notre côté que du sien ; je n’aime pas qu’on prêche bien ailleurs que dans ma paroisse. Mais enfin il faut prendre tous les beaux orages en bonne part. » Désiré Nisard, dont le goût est si sévère, si pénétrant, fait quelques réserves, mais il est lui-même sous le charme, et son témoignage n’en a que plus de prix : « J’entendais un magnifique instrument dont toutes les cordes vibraient de concert ; je vibrais à l’unisson. Un moment mes yeux se mouillèrent de larmes ; me penchant alors vers mon collègue Vitet : « Savez-vous, lui dis-je, pourquoi je pleure ? Je vérifie la justesse du mot de Buffon sur l’éloquence : « C’est le corps qui parle au corps. » Cette fascination d’une parole d’autant plus séduisante qu’elle sort de l’âme. qu’elle porte avant tout la marque d’une sincérité profonde, tenait