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Seul légitimiste à la Chambre de 1831 à 1834, entouré plus tard d’un groupe peu nombreux, mais compact, où il ne rencontra qu’un seul dissident, Berryer pratique une politique à longue échéance, et se dégage de la politique des petites chapelles. En même temps qu’il plante l’étendard royal au milieu de la mêlée, il cherche à tirer de dessous les ruines son parti abattu, à le réhabiliter en quelque sorte devant le pays. En le détournant des complicités équivoques avec les entrepreneurs d’émeutes, il s’efforce de démontrer que la royauté légitime est nécessaire en France, et empêche les journaux de provoquer les rancunes par des violences maladroites, de donner le pas aux questions de principes sur les questions personnelles ; car il sait qu’en France « la masse a horreur de ceux qu’elle soupçonne de tendre volontairement ou involontairement au désordre, même à bonne intention. » Dès 1838, il en vient à réclamer la constitution d’un grand parti, le parti des libertés publiques, où tout homme probe et loyal, républicain, dynastique, royaliste, pourrait entrer ; il se flattait que son parti en deviendrait le noyau, le centre et comme le porte-étendard, que l’exercice de la prérogative parlementaire remplirait l’intérim du pouvoir royal. Il pense aussi à une réforme électorale, car le temps lui semble venu de faire une place au peuple. « Les grandes questions sociales ne changent guère avec les siècles, écrit-il en 1839 au duc de Noailles. Elles ne sont que déplacées par le mouvement progressif des hommes et des choses. Il s’agit aujourd’hui de faire à l’égard de la classe moyenne ce que, pendant trois siècles, la royauté a fait en France à l’égard de la féodalité. »

Berryer avait offert aux ministres de Charles X, MM. de Polignac, de Chantelauze, de Peyronnet, de Guernon-Ranville[1], de prendre leur défense devant la Chambre des Pairs : et ils acceptaient tout d’abord. Mais leurs amis pensèrent que son nom était compromis par ses liaisons avec eux, que les juges verraient dans le défenseur un accusé : la princesse de Polignac lui demanda confidentiellement d’inviter le prince à décliner son ministère, de s’imposer un silence qui peut-être ferait douter de son dévouement. Il y consentit. On fut d’ailleurs bien inspiré en recourant à M. de Martignac, chef du précédent cabinet, qui accepta cette mission avec un empressement d’autant plus magnanime qu’il allait

  1. Voir, sur le procès des ministres de Charles X : Mémoires du chancelier Pasquier, t. VI, et Thureau-Dangin, Louis Blanc, de Nouvion, V. du Bled, etc.