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Charles X avait fait appel au prince de Polignac, prélude d’une politique de coup d’Etat. Sur la recommandation de celui-ci, Berryer ayant atteint ses quarante ans depuis le 4 janvier 1830, était désigné comme président du collège départemental ou candidat officiel dans la Haute-Loire. « Il y a longtemps que je guettais ces quarante ans », lui dit gracieusement le roi, en accompagnant ce compliment des plus flatteuses paroles. Puis il développa devant Berryer ses projets d’alliance avec la Russie pour rendre à la France les frontières du Rhin, évoquant les gloires de l’ancienne France, énumérant ses victoires sur l’Angleterre, ses colonies d’autrefois ; et comme Berryer ne pouvait s’empêcher d’observer que l’ancien régime n’était plus qu’un souvenir, n’avait pas même laissé une poussière pour le rebâtir : « Vous êtes jeune, reprit Charles X, vous avez la parole en main ; ce gouvernement de discussion vous convient ; vous me rappelez Cazalès. »

La renommée de Berryer avait pris un tel essor que l’opposition libérale se rallia à la candidature d’un royaliste du pays. A entendre le Constitutionnel, le National, on faisait au Sacré-Cœur des neuvaines pour son élection ; il aurait à coup sûr les sceaux s’il n’optait pour les finances, il était l’orateur désigné du gouvernement. On mena donc contre lui une campagne fort vive, ce qui ne l’empêcha point d’être élu par 59 voix contre 26 données à son concurrent. Du premier coup il justifia les espérances de ses amis, les craintes de ses adversaires. Après son discours dans la discussion de l’Adresse, la droite, le centre droit, une partie de la gauche même s’approchèrent pour le féliciter, et Royer-Collard prononça un de ses oracles : « C’est plus qu’un talent, c’est une puissance. » Le prince de Polignac lui offrit le portefeuille de l’Instruction publique : Berryer refusa, mais en même temps il s’efforçait d’engager le président du Conseil à modifier la loi électorale de telle sorte qu’elle ne représentât plus la société à la surface seulement, mais dans tous ses intérêts, dans sa vie provinciale, municipale, professionnelle. Il aurait voulu surtout qu’il se préoccupât de s’assurer une majorité. « Une majorité ! répondait M. de Polignac, que ferais-je d’une majorité ? » Et cependant ce ministre s’imaginait avoir rapporté d’Angleterre le goût des institutions parlementaires, mais tout d’abord il se croyait appelé à sauver la liberté et la royauté, sans se soucier aucunement des moyens destinés à assurer le succès de son entreprise. « Il me tint des propos incroyables, racontait Berryer en parlant de cette entrevue. Je ne