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bataille pour les porter à l’échafaud. Et comme la loi d’alors, une loi bien absurde, interdit de devenir député avant quarante ans, il essaiera de servir ses principes au barreau, dans les procès politiques et militaires qui marquent l’avènement de la seconde Restauration.

Dupin et Berryer père avaient été chargés de la défense du maréchal Ney. Avec tous les esprits clairvoyans, Louis XVIII devina les embarras qu’un tel procès susciterait à son gouvernement : on avait fourni au maréchal toutes les facilités d’évasion, un congé illimité, deux passeports. Mais comme s’il courait lui-même au-devant de sa perte, Ney persista à se cacher en France, refusa d’accepter la juridiction du conseil de guerre constitué dans l’intention de le sauver, et réclama celle de la Chambre des Pairs. « Il nous a fait plus de mal en se laissant prendre, observait Louis XVIII, que le jour où il nous a trahis. » Les passions alors éclataient si furieuses que des amis, des confrères de Berryer père se déchaînaient contre lui, déclarant que s’il s’abaissait à plaider pour Ney, ils rompraient toutes relations. Son fils remontait son courage. Loin de trahir son nom, sa cause, c’était son honneur, l’honneur de la royauté qu’il soutiendrait. Il lui persuada d’écrire à Louis XVIII, se présenta aux Tuileries, remit la lettre au roi qui répondit avec bienveillance : « Dites à votre père d’être bien tranquille et de faire son devoir. »

Une fois raffermi par cette approbation, Berryer père se consacra tout entier à son client : son fils, qui l’assistait, était bien tenté de prendre la parole dans ce tragique débat, et, à plusieurs reprises, il soumit à son père ses pensées, les argumens qui tumultueusement jaillissaient de son âme : invoquer l’intérêt de la royauté qui s’honorerait par un acte de clémence, avouer simplement la faute, mais plaider la fatalité, le trouble, la confusion des esprits, le je ne sais comment de Bossuet expliquant les erreurs de Condé. « Tu devrais dire cela ! » répondait Berryer père. L’occasion ne vint point, mais au cours du procès, comme la Chambre des Pairs allait interdire aux défenseurs de parler sur la Capitulation de Paris, le jeune avocat écrivit cette courte protestation qui produisit grand effet, et qui en aurait fait davantage encore si, au lieu de la lire, le maréchal avait paru l’improviser : « Jusqu’ici ma défense a paru libre. Je m’aperçois qu’on l’entrave à l’instant : je remercie mes généreux défenseurs de ce qu’ils ont fait et de ce qu’ils sont prêts à faire ; mais je les prie de cesser