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songeaient qu’à leur tendresse, que les parens pensèrent à la conscription. Quelque temps après, il refusa le poste d’avocat général, et fit ses débuts au Palais : il avait écrit sa plaidoirie et la récita tant bien que mal, envahi par un trouble croissant qui l’enveloppait comme un épais brouillard, au point qu’il ne voyait plus que le président qui l’encourageait de ses signes d’approbation : s’il avait eu en face de lui un magistrat prévenu, peut-être eût-il jeté le manche après la cognée. Avis aux présidens ! observait-il plus tard, lorsqu’il racontait ce médiocre début.

Il n’attendit pas, au surplus, pour se retirer de l’Empire, que la fortune se fût retirée de l’Empereur. L’opposition de son père, la lecture des procès-verbaux de la Constituante, les violations perpétuelles du droit, ce procès du maire d’Anvers que l’Empereur ordonna de recommencer en arrêtant au besoin avocats et jurés eux-mêmes, la conspiration du général Malet qui révéla le défaut de sécurité et la fragilité de l’institution impériale, avaient refroidi son enthousiasme et petit à petit engendré un sentiment voisin de la haine. Avec quelle bonhomie puissante il faisait plus tard devant la Chambre l’aveu de cet engouement passager : « J’étais bien impérialiste à dix-huit ans ; jetais bien impérialiste à vingt ans. Oh ! la gloire de l’Empire ! Je suis sorti du collège au bruit du canon d’Iéna, et quelle tête n’eût pas été enivrée alors ! Mais j’ai réfléchi, j’ai étudié... J’ai senti le despotisme, et il m’a été odieux, disait-il en 1851 devant l’Assemblée législative. Je n’ai pas attendu sa chute, j’ai ici de mes amis d’enfance : ils savent qu’avant la chute de l’Empire, je leur disais : « Vous ne vous rendez pas compte de votre gouvernement, il est odieux, il est intolérable ! La gloire ne couvre pas cela ! » Et dans un élan familier qui portait au paroxysme l’admiration de l’auditoire, il interpellait M. de Grandville, son vieil ami : « Tu m’es témoin ! »

Vienne donc la Restauration, Pierre Berryer l’accueillera comme on accueille le bonheur, et désormais, pendant près de soixante ans, il servira avec zèle la cause de la légitimité. De 1814 à 1830, il appartient au parti royaliste sans épithète, presque à l’extrême droite, mais il n’y entre point avec des passions d’un autre âge, et s’il tient pour le droit divin en politique, il est libéral par le caractère ; s’il va vers Louis XVIII et Charles X avec tout son cœur et toute sa raison, il demeure généreux, cordial, expansif, aimant le grand jour, les larges horizons, ennemi des représailles, estimant que le métier du roi n’est pas de relever les blessés du champ de