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Que la voix publique, complice de ce prestige oratoire, fait proclamé chef des légitimistes en France, il n’y avait certes là rien d’extraordinaire ; mais que le comte de Chambord, qu’un état-major de grands seigneurs l’aient agréé jusqu’en 1831, cet hommage au talent peut sembler assez original dans un parti où Pierre Berryer n’avait pas l’avantage de la naissance. Il n’était pas noble, il appartenait à une famille bourgeoise, ce qui sans doute contribua à sa popularité, car il combattait au rebours de ses intérêts apparens, d’autant mieux écouté qu’on ne pouvait lui opposer cette boutade d’un démocrate marseillais. « Les blancs seront toujours marquis. » Né en 1790, il a pour père un des premiers avocats du barreau de Paris, qui honora grandement sa profession par son attitude courageuse pendant les heures tragiques de la Révolution, lorsque, l’ordre des avocats ayant été remplacé par l’institution des défenseurs officieux, et celle-ci rendue dangereuse par la nécessité d’un certificat de civisme, il continua, sous mille déguisemens, à donner des consultations et à recevoir les confidences de ses cliens presque au pied de l’échafaud. Plus tard, il aimait à rapporter le trait suivant : Mme Berryer se présenta un jour devant Fouquier-Tinville auquel son mari avait autrefois rendu service, et se hasarda à lui demander la grâce d’un détenu. Fouquier-Tinville contempla cyniquement cette belle jeune femme qui tenait par la main son fils Pierre, à peine âgé de quatre ans, comme pour grouper autour d’elle toutes les raisons de respect et de pitié. « Sais-tu, dit-il enfin, que ta tête serait charmante à voir rouler sur l’échafaud ? » De cette mêlée confuse des hommes et des choses dans ce drame prodigieux de la Révolution, Berryer père avait rapporté quelque scepticisme, le besoin de ne s’engager dans aucune secte, de conserver avant tout son indépendance personnelle. « J’ai connu, observait-il sagement, des hommes de tous les partis, et, dans tous les partis, j’ai rencontré des hommes de bonne foi. » Est-ce dans le même esprit que son fils s’écriait un jour à la tribune : « Je remercie la Convention d’avoir sauvé l’intégrité du territoire » ?

Pierre Berryer, l’aîné de ses trois fils, avait sept ans lorsqu’il entra au collège de Juilly 30 juillet 1797). Son principal biographe et son ami, M. Charles de Lacombe, reconnaît[1] qu’il s’y montra

  1. Charles de Lacombe : Vie de Berryer, 3 vol. ; Firmin Didot. — Vicomtesse de Janzé : Berryer, Souvenirs intimes. — E. Lecanuet : Berryer, sa vie et ses œuvres, 1 vol. — Souvenirs de Mme Jaubert. — Comte de Falloux : Mémoires d’un royaliste, 2 vol. — Paul Deschanel : Orateurs et hommes d’État. — Désiré Nisard : Ægri Somnia. — Souvenirs de Berryer père, 2 vol. — Pontmartini : Mes Mémoires, t. II.