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spirituel, qui brûle et halette de se confondre avec le vôtre ? L’âme a-t-elle un âge, Hélène ? »


Ah ! qu’en termes galans ces choses-là sont mises !


Mrs Whitman se laissa convaincre, en dépit d’une scène horrible où les éclats de voix de l’ivrogne s’entendirent dans toute la maison : « Je n’ai jamais rien entendu d’aussi effrayant ; c’en était sublime », disait-elle ensuite avec indulgence. Ils prirent jour pour se marier, mais Poe ne dégrisait pas, et Mrs Whitman rompit l’avant-veille, au grand soulagement du fiancé, si l’on pouvait l’en croire : « Je suis si, si heureux », répétait-il, et il s’occupa incontinent d’épouser Mrs Shelton, qu’il n’avait pas revue depuis le temps où il était collégien. Elle habitait Richmond. Il se présenta chez elle et lui demanda sa main : « Je lui dis, racontait la dame, qu’il me fallait du temps pour réfléchir. Il répondit : L’amour qui hésite n’est pas de l’amour. » Il fallait qu’il fût, malgré tout, bien séduisant, car il put bientôt écrire à la tante Clemm : « Je crois qu’elle m’aime plus profondément que personne ne m’a jamais aimé, et je ne puis m’empêcher de l’aimer en retour… Ma pauvre, pauvre Muddy, je suis encore hors d’état de vous envoyer même un dollar. Mais ayez bon courage. J’espère que nous sommes au bout de nos peines (10 sept. 1849). »

Moins de deux semaines plus tard, il quittait Richmond pour aller mettre ordre à ses affaires et revenir se marier. En passant à Baltimore, il s’enivra. Quelqu’un le reconnut dans un cabaret et prévint un ami, qui accourut et le trouva en proie au delirium tremens. On le transporta à l’hôpital. Nous laissons la parole au médecin qui le soigna. La lettre qu’on va lire est adressée à Mme Clemm ; elle met fin à la légende qui s’était formée autour de la mort d’Edgar Poe[1] :


« Chère madame,

«… Présumant que vous êtes déjà informée de la maladie à laquelle M. Poe a succombé, je n’ai qu’à en relater brièvement les détails depuis son entrée jusqu’à son décès.

« Quand on la apporté à l’hôpital, il n’avait pas sa

  1. Nous rappelons qu’on doit à son dernier biographe américain, M. Woodberry, d’avoir éclairci plusieurs points de l’histoire de sa vie qui étaient demeurés jusque-là impénétrables.