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beaucoup les hommes d’État de Berlin. Mais, peu de temps après, surgissait la circonstance favorable sur laquelle Léon XIII comptait pour faciliter un rapprochement entre le prince de Bismarck et le chef suprême de l’Eglise.


I

Dans le courant du mois de septembre 1885, un conflit grave s’étant élevé entre l’Espagne et l’Empire allemand aux îles Carolines, le prince de Bismarck, qui ne voulait pas se brouiller avec le cabinet de Madrid, proposa au gouvernement d’Alphonse XII de prendre le Pape comme arbitre ; et, le 24 septembre, le marquis de Molins venait demander au Saint-Père d’accepter ce rôle de pacificateur. Aux premières communications dont le comte Mentz, chargé d’affaires de Prusse, avait saisi, en l’absence de M. de Schlœzer, le cardinal Jacobini, il avait été répondu que le Souverain Pontife ne refuserait pas ses bons offices, si l’Espagne croyait de son côté devoir les lui demander. A Madrid, on exprima le désir que le Pape voulût bien être, non arbitre, mais médiateur. L’Allemagne y ayant consenti, le cardinal Jacobini télégraphia au nonce de Madrid que Léon XIII acceptait la médiation. Tout en appréciant la haute importance de l’acte fort inattendu auquel venait de se décider le cabinet de Berlin, on se souvenait au Vatican du proverbe : Timeo Danaos et dona ferentes.

Tout d’abord, il est vrai, la cour pontificale avait été charmée, en voyant le cabinet de Berlin remettre au Saint-Père le soin d’aplanir un différend qui causait de justes alarmes aux chancelleries européennes. De la part du puissant empire qui tenait une si grande place dans le monde, une telle démarche équivalait à la reconnaissance du privilège revendiqué en toute occasion par le Pape, de jouir d’une souveraineté réelle et par conséquent supérieure, en droit, aux circonstances particulières dans lesquelles l’occupation de Rome par les troupes royales avait placé le Saint-Siège vis-à-vis du gouvernement italien. Il ne s’était produit depuis cette époque aucun acte extérieur qui eût donné une sanction aussi éclatante à l’idée de la souveraineté du Pape. Le principe en avait été posé, il est vrai, en termes non équivoques, dans l’article premier de la « Loi des garanties » de mai 1871. Mais le principe était demeuré sans consécration effective, et il avait souvent paru insuffisant à protéger l’indépendance de la papauté