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d’expériences, un des plus vastes et des plus singuliers du monde, l’unité et l’universalité fondamentales des lois économiques. Ces lois qui régissent le développement des sociétés humaines, nous ne pouvons les modifier à notre gré ; il ne dépend pas de nous de nous en affranchir, et, qu’il s’en félicite ou qu’il s’en indigne, voilà le Slave russe, tout comme le Néo-Latin ou le Germain, obligé, à son tour, d’en reconnaître l’empire.

Et ainsi, par le fait même du développement de sa civilisation, et de ses progrès économiques, la stratification sociale de la Russie se complique et se complète. Les deux classes qui lui avaient si longtemps fait défaut et que de présomptueux patriotes prétendaient ne devoir jamais sortir du sol russe, la bourgeoisie et la classe ouvrière industrielle, émergent, presque simultanément, du fond de la nation, perçant à travers les institutions anciennes et les coutumes séculaires. Le lourd rouleau du mir et des communautés de village qui semblait avoir pour jamais nivelé le sol de la Grande-Russie ne peut empêcher le soulèvement de ces deux couches nouvelles.

Les hautaines prédictions des prophètes slavophiles auront été bien vite démenties. Au sein de la vieille Moscovie qui se vantait de leur demeurer inaccessible, apparaissent ces deux types modernes, honnis de tant de Russes, ces deux produits de la brillante et hâtive culture de l’Occident, longtemps étrangers à la Russie, le bourgeois capitaliste et le prolétaire ouvrier. Tandis que l’un se dégage peu à peu du moujik des campagnes ou du fruste mechtchanine des villes, l’autre naît à la fois des réformes impériales et des transformations économiques, sortant simultanément du vieux marchand russe et de l’ancienne noblesse, — du marchand russe rajeuni et dégrossi à notre contact, européanisé et modernisé par la grande industrie, — de la noblesse ancienne, chassée elle-même de la terre patrimoniale, ruinée par la crise agricole, contrainte, elle aussi, comme ses anciens serfs, de demander à de nouvelles professions, à la vie urbaine, à l’industrie, au travail moderne, les moyens d’existence que ne lui donnent plus ses domaines réduits et appauvris. Car l’évolution est ici parallèle. Aux deux grandes classes rurales historiques, au pomechtchik, à l’ancien seigneur, et au moujik émancipé, la terre, la propriété terrienne ne suffit plus ; ils s’y trouvent mal à l’aise l’un et l’autre ; il leur faut, à tous deux, et plus encore au noble qu’au paysan, de nouveaux débouchés ; tous les efforts des particuliers