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caractère patriarcal. L’Etat a commencé, sous l’empereur Alexandre III, à intervenir entre les ouvriers et les patrons. En aucun pays, pareille intervention n’est plus naturelle, ni plus excusable. Moujik ouvrier ou moujik paysan, au tsar incombe le soin paternel de la santé et de la liberté de ses humbles enfans des champs ou de l’usine. En Russie, où l’initiative privée est encore peu développée et où elle serait aisément suspecte, c’est aux pouvoirs publics de parer à tous les besoins. Ce devoir, le gouvernement impérial en a pris conscience, comme en témoignent les lois et les règlemens édictés sous Alexandre III et sous Nicolas II. La loi a étendu sa protection sur les femmes et sur les enfans, naguère encore astreints à un labeur meurtrier[1]. La loi vient de limiter la durée de la journée de travail[2]. On a enjoint aux industriels de payer le salaire de leurs ouvriers à époques fixes ; on leur a interdit de s’approprier le montant des amendes infligées à leur personnel. Des inspecteurs de fabriques sont chargés de veiller au respect des lois et à la salubrité des logemens ouvriers.

Par malheur, comme il arrive à bien des lois, ailleurs même qu’en Russie, les prescriptions tutélaires de l’autorité souveraine semblent loin d’être partout strictement obéies. Le pays est trop vaste, les inspecteurs de fabriques sont trop peu nombreux et ils ont trop j)eu de pouvoir pour que leur contrôle soit partout efficace. Telle inspection embrasse une région aussi étendue qu’un royaume[3]. Puis, moujiks ou patrons, les Russes de toutes classes se montrent aussi peu respectueux de la loi qu’ils se montrent déférens envers les autorités. N’importe, toute une législation sociale est en train de s’élaborer. Les questions ouvrières tiennent, déjà, une grande place dans les discussions de

  1. Des lois de 1882, 1884, 1890, 1897 interdisent tout travail à l’usine au-dessous de 12 ans. A partir de 12 ans jusqu’à 15, les enfans peuvent travailler huit heures par jour, à condition que les huit heures soient coupées en deux par un intervalle de quatre heures. Dans certaines industries, dans les industries textiles notamment, le travail de nuit est prohibé pour les femmes et pour les jeunes gens de 15 à 17 ans, que la loi assimile aux femmes. Ces lois, assez compliquées, admettent des tempéramens transitoires ou des exceptions qui eq rendent l’application malaisée et quelque peu arbitraire. C’est là, ailleurs aussi, un des défauts de toute législation analogue.
  2. Cette loi, toute récente, limite le travail de nuit des adultes à une durée de dix heures. Quant à la journée de travail pendant le jour, la longueur en est fixée à onze heures et demie au maximum. Encore, le samedi et la veille des principales fêtes, elle ne devra pas dépasser dix heures. Le travail à l’usine est interdit le dimanche.
  3. Schultze Gævernitz affirme que l’inspecteur industriel de Kharkof a, sous sa surveillance, un territoire aussi grand que la Prusse.