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effet, le moujik travaille aux champs l’été, a un métier l’hiver, sans quitter son village et sa famille ; il possède vraiment un foyer où il vit avec les siens et qu’il peut transmettre aux siens. Au point de vue social et au point de vue moral, alors même que son bien-être matériel serait moindre, la vie du koustar, de ce moujik artisan peut être regardée comme préférable, étant plus saine et moins précaire, à celle de beaucoup d’ouvriers de l’Occident. Encore faut-il dire que cette industrie villageoise est souvent exploitée par les courtiers, les intermédiaires, les usuriers ; les paysans y gagnent de bien maigres salaires pour de bien longues journées ; ils v sont victimes des miroiedy, des mangeurs du mir, ou de véritables sweaters, analogues à ceux des pays anglo-saxons.

Le développement de la grande industrie rend, du reste, au moujik, ce genre de vie de plus en plus difficile. La petite industrie villageoise décline ; ses humbles ateliers de famille ont peine à soutenir la concurrence des grandes fabriques[1]. Le paysan ouvrier est obligé de travailler loin de chez lui, contraint de quitter son village et son izba. Si, encore, la fabrique était toujours voisine de sa commune, il pourrait rentrer le soir, ou revenir, au moins, passer le dimanche, chez lui, dans sa maison. L’érection d’usines rurales au milieu de villages qui leur fourniraient la main-d’œuvre serait, assurément, pour le moujik, la solution la meilleure. La possession d’un foyer au village garderait, alors, pour l’ouvrier paysan, tous ses avantages sociaux et moraux. Mais, trop souvent, l’ouvrier est contraint d’aller chercher du travail au loin ; il lui faut s’absenter, pendant des mois, parfois même pendant des années ; il lui faut laisser, derrière lui, sa femme et ses enfans. La femme demeure au village, tandis que le mari vit à la

  1. En plusieurs provinces, il est vrai, les États provinciaux, les zemtsvos cherchent à soutenir la petite industrie en lui fournissant des matières premières ou en fondant des écoles techniques. M. D. Mendéléef, directeur du département du Commerce et des Manufactures, exprimait l’espoir, dans une publication officielle (The industries of Russia, 1893, Saint-Pétersbourg ; t. Ier, introduct., p. 49, que l’électricité et le transport de la force à distance viendraient bientôt au secours des koustars et de la petite industrie villageoise : mais ce n’est là qu’une espérance, d’une réalisation peut-être plus malaisée encore en Russie qu’en Occident.