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Angers, etc. Quelques-unes, en petit nombre, appartiennent trop au passé et sont pour ainsi dire moisies ; elles ont perdu leur raison d’être et ne sont plus, comme Versailles, qu’une caserne ou un musée. Ne parlons que de celles qui peuvent lutter et qui luttent, Grenoble, Lyon, Bordeaux, Roubaix, parmi beaucoup d’autres.

Je me trouvais à Grenoble au moment de la crise présidentielle des Etats-Unis. Cette crise seule avait exercé jusqu’au fond du Dauphiné une répercussion si directe qu’une grande partie des ouvriers de la ganterie étaient sur le pavé attendant le résultat de l’élection : Bryan ou Mac-Kinley ? Grenoble, comme Bordeaux, comme toutes nos villes industrielles, est aux prises avec des difficultés contradictoires : les Etats-Unis sont à la fois pour elle un concurrent et un client. Les Etats-Unis fabriquent les gants d’hommes ; ils ont fondé non pas seulement des usines, mais des villes de gants, Glovesville, Johnston. Grenoble, en conséquence, ne leur vend plus que les gants de femme. Mais cette évolution, jointe aux progrès fiévreux de la concurrence européenne, a réduit le commerce de Grenoble à un état des plus précaires : on commandait naguère à Grenoble plusieurs milliers de douzaines de paires de gants à la fois ; et on donnait du temps, des avances qui permettaient d’employer régulièrement, du commencement de l’année jusqu’à la fin, les ouvriers. Aujourd’hui les commandes arrivent par à-coups (comme partout, dira-t-on ; à Châtellerault par exemple la manufacture d’armes a réduit le nombre de ses ouvriers de 6 000 à 1200) ; mais à Grenoble les commandes courantes ne se montent le plus souvent qu’à quelques centaines, à des douzaines, à quelques paires, et elles ne sont payées qu’au fur et à mesure des livraisons, en sorte que les fabricans sont obligés de faire les avances, d’être les banquiers de leurs cliens pour ne pas les perdre ; et les ouvriers attendent les commandes les mains vides et l’estomac creux. Toutes ces transformations ne sont pas loin de ressembler à une révolution. Et si dans le désir de protéger le travail national nous imposons trop lourdement des droits d’entrée à nos concurrens, on nous répondra par des représailles ; les Etats-Unis frapperont de droits prohibitifs les gants de femmes, les vins fins, les porcelaines, les soieries, les rubans, les tissus de laine ; la Belgique arrêtera nos bœufs, et nos produits se vendront de plus en plus mal, même ceux de nos campagnes, lesquelles ne peuvent abuser