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habitans vont à la ville quand ils le peuvent, faire du commerce ou se mettre au service de l’industrie ; se faire concurrence les uns aux autres et disputer à ceux qui luttent péniblement des bénéfices-ou des salaires déjà trop réduits : les jeunes filles et les jeunes gens cherchent surtout des places, les jeunes ménages ouvrent des cafés. Le ralentissement de notre activité frappe tous les yeux. Des voix isolées se sont fait entendre d’abord de très loin pour le signaler et les sombres avertissemens de Prévost-Paradol, ou les magnifiques « vérités importunes » de Renan ont ému parmi nous tous ceux qui pensent, ceux qui savent ou simplement ceux qui aiment vraiment leur pays. Mais ces voix ne sont pas restées isolées, elles sont aujourd’hui légion. Place aux jeunes ! crient-elles, et il semble que ce cri cynique s’adresse aux nations comme aux hommes : il paraît normal que l’Europe, ainsi que les ouvriers vieillis, ne puisse plus que difficilement trouver du travail.

M. Charles Roux a résumé toutes les tristesses d’une expérience déjà longue dans un rapport qui a fait sensation, sur la décadence de notre commerce ; il aurait pu écrire le même sur notre marine, nos colonies. La France compromet ou laisse dépérir ses ressources à force d’apathie, de routine, d’attachement à des règlemens qui, pour un grand nombre, datent de Colbert et de Richelieu. Comme tous les apathiques, elle fait preuve de volonté par à-coups, et alors c’est de l’héroïsme, mais ce sont aussi des coups de tête, des réformes sentimentales, non étudiées et pires parfois que le mal. Quand elle cesse par exemple d’exploiter ses colonies, c’est pour les assimiler du jour au lendemain à la mère patrie, en faire des départemens français et les ruiner ; ou bien elle décide subitement, sans ombre de motif, malgré des obstacles naturels insurmontables, que tous les juifs indigènes d’Algérie seront Français, électeurs et, par suite, maîtres de la population arabe, maîtres de nos colons eux-mêmes. Ou encore elle laisse naïvement organiser aux colonies, à la faveur de notre ignorance, la parodie, la caricature du suffrage universel, accorde le droit de voter notre budget, la paix ou la guerre, aux représentans d’indigènes, Indiens ou Sénégalais, qui ne paient pas nos impôts, ne servent pas dans notre armée, ne parlent pas notre langue.

Le déclin de notre marine marchande s’accuse d’année en année avec une rapidité extrême. Aucune nation au monde,