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vaincus, défié l’effort de tant d’armées, nous finirions par succomber sous une invasion de marchands ! C’est là pourtant qu’est le danger : oui, les marchands deviennent pour nous plus redoutables que les soldats.

Sans livrer de batailles, la concurrence s’insinue, comme l’eau pénètre dans les caves ; elle s’installe dans nos maisons. Au début, elle rend service, apporte des économies, des simplifications, des progrès, du bien-être ; on lui fait bonne mine. C’est à la longue seulement qu’on s’aperçoit de la part trop large qu’elle occupe, quand le locataire ou le fermier ne paie plus le propriétaire ; quand la valeur de nos fonds baisse d’année en année ; quand l’ouvrier rentre chez lui les mains vides ; quand l’usine ne travaille plus ; quand le patron dépose son bilan ou se retire. Et alors que faire ?

Toute l’Europe, et même tous les peuples d’origine européenne doivent se poser cette question, — toute l’Europe et non pas la France ou l’Europe latine et catholique seulement, — toute l’Europe sans en excepter l’Angleterre, nous l’avons prouvé, l’Allemagne, nous le prouverons, ni même la Russie. Et les nations de notre vieux monde auront bientôt mieux à faire que de se surveiller les unes les autres ; leurs regards tournés au dedans seront attirés au dehors ; il leur faudra, bon gré mal gré, pour subsister, se résoudre à mettre en commun leurs forces rivales et chercher comme les individus leur salut dans l’association. Mais avant d’en arriver à tant de sagesse, et pendant que les avertissemens se succéderont de jour en jour plus impérieux, chacune d’entre elles doit commencer par faire l’inventaire de ses moyens de résistance et reconnaître sans orgueil ni faiblesse ce dont elle est encore capable. C’est la tâche bien lourde que nous avons entreprise pour ce qui concerne la France.


L’IGNORANCE ET L’INDIFFÉRENCE DE L’OPINION. — QUELQUES OBJECTIONS


La France est douée à faire envie au monde entier, mais la direction générale lui manque pour mettre en œuvre les multiples ressources de son sol, de ses habitans, de son climat ; elle est pleine d’énergies, de talens, de bonnes volontés qui ne sont pas coordonnés. Nos efforts sont immenses, mais éparpillés, souvent contradictoires. Nos rivaux en concluent trop aisément à notre impuissance ; ils oublient que, pendant des siècles, les