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qui s’enivrent quand ils trouvent l’occasion de boire. Les dipsomanes sont des malades qui s’enivrent toutes les fois que leur accès les prend. »

Selon les mêmes savans, l’accès en fait des manières d’aliénés. Le docteur Trélat a accueilli dans un ouvrage sur la Folie lucide le cas d’une femme à qui la dipsomanie avait coûté fortune et situation : « On ne pouvait, dit-il, sans être pris d’une vive compassion, entendre le récit des efforts qu’elle a faits pour se guérir d’un penchant qui lui a toujours été si funeste. Quand elle sentait venir son accès, elle mettait dans le vin qu’elle buvait les substances les plus propres à lui en inspirer le dégoût. C’était en vain. Elle y a mêlé jusqu’à des excrémens. En même temps, elle se disait des injures… La passion, la maladie était toujours plus forte… que les reproches et que le dégoût. »

Si l’on veut bien rapprocher les efforts de cette malheureuse des luttes dont William Wilson nous a donné le spectacle, on ne pourra songer sans horreur à ces infortunés qui sont écartelés entre leur maladie et leur conscience, et à la légèreté avec laquelle tant d’hommes préparent ce supplice à leurs descendans. On a vu plus haut que la médecine est parvenue à constater, chez les enfans des alcooliques, des altérations anatomiques des centres nerveux. C’est la réponse à Baudelaire, lorsqu’il demandait, dans une de ses notices sur Poe : « Y a-t-il donc une Providence diabolique qui prépare le malheur dès le berceau ?… Y a-t-il donc des âmes sacrées, vouées à l’autel, condamnées à marcher à la mort et à la gloire à travers leurs propres ruines ?… Leur destinée est écrite dans toute leur constitution, elle brille d’un éclat sinistre dans leurs regards et dans leurs gestes, elle circule dans leurs artères avec chacun de leurs globules sanguins[1]. » Baudelaire ne s’est trompé que sur un point. La « Providence diabolique », qui prépare le malheur des Edgar Poe dès le berceau, c’est notre misérable imprévoyance, qui empêche les pères, au milieu des excès, de songer à leurs descendans. Elle ne réside pas là-haut dans le ciel. Elle est beaucoup plus près. Elle est assise à notre foyer, elle nous berce sur ses genoux, et rit à l’idée qu’elle pourrait nous vouloir du mal. Pauvre Providence humaine, ignorante et aveugle !

Poe ne resta qu’un an à l’université. En voyant le train des

  1. Écrit on 1856.