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ce magistrat en Espagne serait l’alcade, chez nous, le maire : on l’appelle plus sérieusement, quoique plus couramment capitan, le capitaine ; il a, suivant l’importance du village, un, deux, ou plusieurs lieutenans. Il porte ou l’on porte devant lui — tels les faisceaux devant le consul romain — la canne à glands d’or, le bâton, insigne éminemment espagnol du commandement : ses lieutenans n’ont droit qu’à la vara, une simple verge. Par son costume aussi, il est au-dessus du vulgaire : le frac et le chapeau de haute forme lui sont, en quelque sorte, somptuairement réservés ; les autres se contentent de la jaquette, du pantalon à l’européenne, avec la chemise flottante, du couvre-chef en champignon et des pantoufles de couleur, quelquefois des souliers vernis, mais ce n’est chez eux qu’une élégance tolérée.

Tout ce monde, naturellement, fait payer et paye des impôts, dont il n’y a pas grand’chose à dire, sinon qu’en eux-mêmes, ils ne semblent pas excessifs. Pour l’impôt de capitation, ni le demi-tribut de 7 fr. 50 par personne, ni le tribut entier de 15 francs par ménage n’est une vexation trop lourde. La corvée, la prestation annuelle de quarante journées de travail pèserait sans doute davantage, si le temps avait la même valeur en Orient qu’en Occident et si, du reste, elle n’était rachetable au prix modeste de 15 francs. Le droit sur la consommation de l’alcool, la marque du bétail, etc., ne peuvent non plus passer pour écrasans. Mais ce qui, en tout pays, aggrave singulièrement l’impôt, c’est, quand il s’en produit, les abus dans la perception. Aux Philippines, le percepteur est encore un collecteur des tailles, responsable pour tant de têtes, et payant quand les contribuables ne payent pas[1] : on comprend qu’à l’occasion il se couvre, se garde ou se dédommage.

Ce collecteur, le cabeza de barangay, est, comme le petit gouverneur, un Indien, mais il exerce au nom de l’Espagne, et s’il abuse, c’est sur l’Espagne que la faute en est rejetée ; faute dont elle n’est pas d’ailleurs toujours entièrement innocente. Il n’est pas sans exemple que tel et tel, qui ne possédaient rien, se soient retirés avec une honnête aisance de fonctions légalement

  1. Pour le recouvrement des impôts, les communes sont réparties en sections de 50 à 100 feux, composant chacune une cabeceria, avec un cabeza de barangay. C’est une organisation ancienne et, parait-il, antérieure à la conquête, que les Espagnols ont gardée, comme dans l’Inde les Anglais (Voy. Sir Henry Maint, l’Inde et l’Angleterre, dans les Études sur l’Histoire du Droit, trad. franc, p. 561) ont conservé, » en l’améliorant et en le civilisant, le système de perception institué par les empereurs mogols. »