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à la fois et confusément, il projetait de l’accomplir, comme il accomplissait ses opérations de guerre, par étapes, par marches concertées d’ensemble, avec méthode et mesure, ordonnant, organisant au dehors la force de la Révolution comme il méditait de le faire dans l’État. « Je ne vois pas, avait-il écrit à Talleyrand le 9 octobre 1797, d’impossibilité à ce qu’on arrive en peu d’années à ces grands résultats que l’imagination échauffée et enthousiaste entrevoit et que l’homme extraordinairement froid, constant et raisonné atteindra seul. » Il les atteignit. Cet enchaînement est un fait capital pour l’intelligence de l’histoire de ces temps. Les affaires extérieures et la guerre dominèrent la Révolution dès ses débuts, et la dénaturèrent à partir de 1795.

Ce fut précisément pour réaliser ces vastes desseins d’extension et de suprématie que l’opinion porta Bonaparte au pouvoir et l’y soutint si longtemps, au prix de sacrifices immenses. Que l’on y réfléchisse : il fallut que ces conceptions magnifiques eussent bien profondément pénétré dans les esprits, puisqu’elles y effacèrent la proposition première, si noble, si pure, si désintéressée, si humaine de 1789, et l’autre proposition, chimérique, mais enthousiaste, mais magnanime de 1792 ; puisque la France se laissa si aisément prendre et demeura fascinée, subjuguée jusqu’à la défaite, c’est-à-dire jusqu’au moment où le rêve parut dissipé à jamais. Bonaparte emporta de son passage à Paris, en 1797, une conception de la grandeur et de la destinée de la République dans le monde et des conditions du gouvernement de la République en France, qu’il garda toute sa vie et qui dirigea tous ses actes : c’est que son autorité en France tenait à sa suprématie en Europe ; que, s’il cédait une seule des positions prises par la République conquérante, c’est-à-dire le Directoire, il ne pourrait plus se soutenir un jour ; que l’Europe l’envahirait et le déborderait de toutes parts ; que l’opinion, en France, l’abandonnerait et le condamnerait ; qu’il ne pourrait demeurer le dictateur, « l’empereur » de cette république s’il consentait à une diminution quelconque de la puissance et du prestige de l’État. De là pour lui, comme pour le Directoire, la nécessité de coaliser le continent contre l’Angleterre et de pousser sans cesse plus loin ses postes avancés, nécessité qui ne s’accordait que trop avec son génie, tout romain, et avec les conditions de sa propre fortune.

Elle ne s’accordait que trop aussi avec cet emportement guerrier qui, par intermittence, soulève le peuple français, avec