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introduire dans le gouvernement et dans l’administration de l’Empire devront être examinées et résolues dans le moindre délai possible ; mais Abdul-Hamid aura donné une première et incontestable preuve de bonne volonté, et il ne sera pas téméraire d’en attendre encore d’autres de sa part. Personne n’a jamais contesté son intelligence politique. Nul ne sait mieux que lui accepter l’inévitable, et ce n’est pas seulement en Thessalie qu’il le montre, mais encore en Crète. Dès le premier moment, il a fait son sacrifice de la grande île méditerranéenne, et à partir du jour où l’Europe a manifesté officiellement l’intention d’en assumer la charge, il n’y a eu de sa part, ni par une agression formelle, ni par une intrigue qu’on n’aurait pas manqué de découvrir dans le cas où elle se serait produite, aucune velléité de compliquer à son profit, et pour le plus grand embarras des puissances, une situation qui était déjà assez difficile. Certes, si la Crète, après les événemens militaires qui viennent d’avoir lieu, devait tomber tout de suite entre les mains de la Grèce, le sultan aurait de la peine à accepter cette solution, et très probablement il ne l’accepterait pas ; mais il se prête volontiers à toutes les autres, et ce n’est pas de sa part qu’une résistance est à redouter.

L’Europe a donc le champ libre en Crète, aussi libre du moins qu’il le sera jamais, aussi libre qu’il peut l’être par l’abstention provisoire de la Grèce et par l’abstention définitive de la Porte. Le moment est donc venu pour elle de remplir la tâche qu’elle s’est assignée, et à vrai dire elle n’y a pas mis jusqu’ici beaucoup d’empressement. On croyait ses vues arrêtées et ses dispositions prises depuis longtemps : il n’en était rien. Là encore, il y a eu du temps perdu, — à moins toutefois qu’on n’ait cru, à tort ou à raison, plus habile d’attendre que le départ du colonel Vassos ait produit tout son effet, et que l’insurrection, ne trouvant plus son point d’appui dans le corps expéditionnaire hellénique, ait commencé à s’apaiser d’elle-même. S’il en est ainsi, nous souhaitons que ce calcul ne soit pas trompé. Quoi qu’il en soit, la première chose à faire était de désigner le gouverneur de l’île. Seul, par sa présence à la Canée, il pouvait donner aux yeux des populations une réalité en quelque sorte tangible à l’autonomie qui n’est encore à leurs yeux qu’une abstraction assez difficile à démêler. Fallait-il nécessairement un prince, appartenant à quelque famille régnante, pour remplir un rôle destiné peut-être à rester provisoire, ou ne valait-il pas mieux le confier, qu’on nous passe le mot, à un candidat qui ne fût pas du bois dont on fait les dynasties ? Un a songé à M. Numa Droz, ancien président de la République helvétique, homme distingué à tous