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ment rompu, et l’intérêt de la Grèce, quelque précieux qu’il fût, ne méritait pas qu’on courût pour lui un pareil risque. Si la Grèce avait docilement suivi les conseils des puissances, et si ces conseils l’avaient exposée par la suite à un péril imprévu, il y aurait eu strictement pour l’Europe une obligation morale de l’en tirer. Les choses ne se sont pas passées ainsi. Elles se sont même passées tout à l’inverse. La Grèce, cliente de l’Europe en somme, et qui lui doit d’abord son existence, puis tous les développemens qu’elle a reçus, ne s’est pliée à aucun de ses conseils. Elle n’a consulté qu’elle-même et a paru même se moquer un peu des objurgations dont elle était l’objet de la part des gérontes occidentaux. Dès lors, la seule question qui se posât était de savoir si les puissances, ou si l’une d’entre elles, étaient obligées de compromettre leur politique générale, leurs intérêts particuliers, leurs alliances, tout leur système politique enfin, pour voler au secours d’un petit pays qui n’avait suivi que ses convenances personnelles, et qui avait fait fi des leurs. A notre avis, il n’y avait ni pour l’Europe, ni pour une puissance quelconque, une obligation de ce genre. Les fautes commises jusque-là étaient d’ordre secondaire et assez aisément réparables : il n’en aurait pas été de même de celles où on se serait engagé, si on avait suivi la Grèce dans l’aventure où elle s’était lancée. Le feu n’aurait pas tardé à prendre aux Balkans, et alors peut-être tout le monde n’aurait-il pas eu la même bonne volonté, ni le même empressement à l’éteindre. Le concert européen aurait été mis à une épreuve à laquelle il aurait eu beaucoup de peine à résister.

Donc, on aurait pu empêcher la guerre, et on ne l’a pas fait par un respect mal compris de l’indépendance de la Grèce. Mais cette première faute une fois commise on a réussi du moins à en limiter les conséquences. La guerre a été étroitement localisée ; elle a été courte ; elle n’a pas été très sanglante. Il ne restait plus à l’Europe qu’à intervenir, pour que la leçon reçue par la Grèce sur les champs de bataille ne dégénérât pas en châtiment politique éternel. C’est ce qu’elle a fait, et il semble bien, d’après les bruits qui circulent, que le but qu’elle s’est proposé soit à la veille d’être atteint. La Porte, après avoir poursuivi en Europe une sorte d’enquête où elle a trouvé partout des réponses analogues, des affirmations identiques, a reconnu l’impossibilité pour elle de conserver la Thessalie. On discute en ce moment sur le plus ou moins d’étendue de la rectification de frontière qui lui sera accordée, et, sans être dans le secret des négociations, nous sommes portés à croire que la Porte demande plus qu’elle n’espère