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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 juin.

Nous venons un peu tard pour parler du jubilé de la Reine, dont les détails remplissent depuis quinze jours les journaux du monde entier. Il reste peu de choses à dire sur cette extraordinaire manifestation : tout au plus peut-on en reproduire l’impression et s’efforcer d’en dégager la signification générale. La reine Victoria a été le centre de cette fête sans précédens ; elle en a été le prétexte, la cause même, si l’on veut ; mais, avant tout, le peuple anglais a entendu se fêter lui-même. On a beaucoup parlé de son loyalisme, de ce lien moral, intime et fort, qui unit un peuple à son souverain. Un tel sentiment existe en effet chez lui, d’autant plus sincère que rien ne le contrarie, d’autant plus profond qu’il prend sa source dans un passé déjà ancien, et qu’il a toute la solidité d’une tradition. Toutefois, ce n’est pas seulement au loyalisme qu’il faut attribuer l’explosion de joie populaire qui vient de se produire de l’autre côté du détroit. Tous ces hommages que le peuple anglais adressait orgueilleusement à la Reine, il ne se les adressait pas moins à lui-même. Après plus d’un demi-siècle écoulé, il s’arrêtait un moment pour jeter en arrière un regard satisfait : et comment ne l’aurait-il pas été ? Il n’y a pas dans l’histoire de l’Angleterre, ni peut-être dans aucune histoire, une égale période de temps qui ait été aussi constamment fortunée, aussi étonnamment féconde. À qui faut-il attribuer, surtout, cette prospérité sans exemple ? Est-ce au peuple anglais ? Est-ce à la reine Victoria ? N’est-ce pas plutôt, d’une manière presque indissoluble, à l’un et à l’autre à la fois ? Lorsque l’Anglais repasse dans sa mémoire les souvenirs de cette série d’années déjà longue, à tous les points où sa pensée s’arrête, à tous les détours où elle passe, il rencontre l’image, devenue hiératique, de la reine Victoria. La Reine s’est associée étroitement à tout ce qui est arrivé à son peuple ; elle y a présidé ; elle y a aidé. Elle a démontré par son exemple qu’il n’est pas indispensable, pour