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courage, de vertu, — et même du brevet supérieur, — lutter inutilement pendant des années, et être obligées enfin, littéralement obligées d’opter entre la faim et la galanterie, quand encore la galanterie voulait bien d’elles.

Rosine est une de ces malheureuses. Fille d’un petit fonctionnaire, restée à dix-huit ans orpheline et sans un sou, elle a été aimée d’un certain Perrin, paysan d’origine qui travaille chez M. Hélion, grand manufacturier du chef-lieu (nous sommes en province). Elle est devenue la maîtresse de Perrin, car elle l’aimait, et la mère du jeune homme s’opposait au mariage ; et puis il fallait vivre.

Il y a cinq ou six ans de cela. On la croit mariée. Mais, sournoisement reconquis par ses parens paysans, Perrin l’abandonne pour épouser une fille de son village, qui a du bien. Voilà donc de nouveau Rosine toute seule au monde ; d’autant plus exposée à la malveillance des bourgeoises de la ville et à la bienveillance excessive de leurs maris que l’irrégularité de son passé encourage ceux-ci, et que celles-là ne lui pardonnent pas son ancienne apparence de régularité. Ajoutez qu’elle est jolie et qu’elle a, malgré sa pauvreté (ce n’est pourtant pas sa faute) des airs de demoiselle. Elle a beau être bonne ouvrière et de grand courage : en voilà une à qui il ne sera pas commode de vivre de son aiguille.

Les femmes lui « accordent » du travail avec des airs de condescendance affreuse et les hommes croient qu’il n’y a pas à se gêner avec elle. M. Hélion, l’industriel, la serre de près et lui propose un petit appartement à Paris où il a coutume de faire de joyeuses fugues périodiques. Elle le repousse fort dignement. Mais Mme Hélion a surpris le manège de son mari. Elle tolère ses autres distractions, mais lui déclare qu’elle ne lui permet pas Rosine. Elle cherche à écarter la jeune ouvrière en lui offrant (comme une aumône qu’on jetterait avec menace) une place de femme (de chambre dans un château éloigné de la ville. Rosine refuse : elle ne veut pas « servir » ; c’est son idée et c’est son droit. Elle aime mieux « faire des journées » quand elle en trouve ; une ouvrière n’est pas une servante et est du moins libre dans son pauvre chez soi. Sur quoi Mme Hélion, indignée, la chasse avec de dures et humiliantes paroles.

Cet éclat retire à la malheureuse Rosine le peu de pratiques qu’elle avait. Hélion profite de sa détresse pour lui renouveler ses offres. Il le fait en bons termes, avec une franchise raisonnable, sans brutalité. Cet industriel noceur est un peu banal, mais non. désagréable en somme, ni vieux ni laid, et le sentiment qu’il a pour Rosine est