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heureusement dans le mouvement qui lance et élève le cavalier presque sur le cou de la bête et qui redresse la tête de celle-ci jusque sous le bras du jeune homme ! C’est la réalité, toujours puissante, toujours féconde, qui anime cette œuvre idéale, et qui en fait une figure saisissante et impressionnante même pour les illettrés. Bref, il y a là le charme profond de cette chose indéfinissable qu’on appelait autrefois la Beauté, qu’on affecte de mépriser aujourd’hui, mais dont le monde ne saurait plus se passer, à moins de retomber dans la barbarie, et qui sera toujours, pour les sculpteurs comme pour les peintres, la marque du génie supérieur.

C’est aussi par un certain sentiment de l’éternelle beauté que le groupe, en bas-relief, d’Agar, par M. Sicard, a, cette année, attiré l’attention et mérité une haute récompense. Au point de vue biblique, oriental, ou même simplement humain, il y aurait beaucoup à dire. Cette grande femme nue, vue de dos, accroupie devant un jeune garçon, étendu sur un rocher, semble plutôt remplir un rôle plastique qu’exprimer une douleur maternelle. Si c’est une mère qui pleure, c’est une mère bien païenne, du monde des déesses immortelles, inaccessible aux atteintes de la vieillesse comme à celles des infirmités humaines. Mais c’est avec science, vigueur et charme que le jeune sculpteur a groupé ses deux figures, qu’il a exprimé, dans un style noble et contenu, l’agonie de l’un et la douleur de l’autre, qu’il a conduit, d’un bout à l’autre, l’exécution de ces nus fermes et pleins. La satisfaction donnée aux yeux, pour ne pas être biblique ou sentimentale, n’en est pas moins réelle et, pour notre compte, nous ne saurions nous y dérober, quelles que soient d’ailleurs nos réserves intimes en ce qui concerne les devoirs d’un artiste vis-à-vis de son sujet et la façon dont M. Sicard les a compris.

Quelles peines se donnent les jeunes gens pour imaginer des allégories ingénieuses qui leur fournissent l’occasion d’enchevêtrer plusieurs corps, surtout un corps d’homme et un corps de femme ! Autrefois, c’était la mythologie qui faisait les frais de ces inventions ; pendant plusieurs siècles, les métamorphoses d’Ovide ont été le magasin inépuisable où se fournissaient les sculpteurs dans l’embarras, autant que les peintres et les tapissiers. Depuis qu’on ne lit plus Ovide, on se rejette sur les fabulistes, La Fontaine ou Florian. Ceux qui ne lisent même pas La Fontaine ou Florian, se rabattent sur des jeux de mots. Le succès de M. Larcher, en 1891 et 1893, avec son aimable groupe de la Prairie et