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sauvage de Bornéo, se délectait dans son triomphe. Cette fois, dans le bas-relief de l’Homme de l’âge de la pierre, c’est notre ancêtre, très primitif, qui a vaincu la bête et qui s’en glorifie. Ce chasseur, rude et svelte, a pénétré dans la caverne d’un autre troglodyte, un grand ours qu’il a terrassé à coups de hache. Sa cuisse décousue porte, en un lambeau sanglant, la marque de la lutte. Le cadavre de la bête gît, pendant, sur le bord droit du tympan. C’est le plus beau morceau de l’ouvrage. L’homme, malgré sa blessure, s’avançant vers la gauche, entraîne la proie conquise, un ourson à grosse tête qu’il tient par les deux oreilles. Le prisonnier se débat et gesticule, en tendant ses larges pattes convulsées, avec une grimace d’angoisse des plus drolatiques. M. Frémiet est un des rares artistes qui savent mettre de l’esprit ou de l’érudition dans la sculpture sans y perdre le sens du rythme et de la grandeur plastique. C’est un de ceux qui, à bon droit, comme MM. Falguière, Mercié, Paul Dubois et plusieurs autres, peuvent sourire, en les dédaignant, des lamentations accoutumées sur l’inertie imaginative des sculpteurs français et sur l’impossibilité où ils se trouveraient de traduire, dit-on, tous les sentimens et toutes les curiosités de l’esprit moderne.

Demandez à M. Falguière, ce modeleur passionné de formes vivantes, prêt à tout comprendre et à tout dire, ce qu’il pense de cet anathème. L’auteur varié et multiforme du Combat de Cuys, du Tarcinus martyr, du Saint Vincent de Paul, du La Fayette, de la Danseuse, vous répondra qu’il se sent l’envie et la force de représenter tout ce qui vit et tout ce qui a vécu dans le monde réel aussi bien que dans le monde idéal. L’an dernier, il flânait sur les planches de l’Opéra, avec sa ballerine dénudée et tortillée ; cette année, il remonte vers le ciel antique avec son Poète chevauchant Pégase. Thème usé, motif banal, vieillerie scolaire, formule classique, tant qu’on voudra. Je défie pourtant tout homme aimant la sculpture, tout homme sensible au rythme expressif des formes, de contempler sans joie le groupe de M. Falguière. C’est d’un mouvement si ferme et si ardent que le cheval ailé, aux formes pleines et serrées, se cabre et se dresse vers le but désigné par son cavalier ! c’est d’un élan si naturel et si heureux que le jeune cavalier, ayant pour toute arme sa grande lyre, sans bride, sans selle, sans fardeau, même d’une draperie, confiant en sa noble monture, tend le bras droit vers cette gloire qui l’appelle ! Comme le cheval et le cavalier s’associent naturellement et