Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maison à côté de quelque charogne qu’ils n’avaient pas pris la peine d’éloigner.

Toujours délicat est le choix d’un camp. Sur les routes de caravanes, tout le monde adopte le même campement, souvent protégé d’un mur de pierres sèches. En dehors des routes parcourues, il faut d’abord trouver de l’eau, puis du bois pour faire le feu, et quelquefois le voisinage d’un hameau pour se procurer les chevaux et coolies, s’il se peut, renouveler les provisions, le lait. les œufs, les moutons, la farine et le fourrage que certain parouana, sorte de laissez-passer, permet de requérir. Autre grande question : il est indispensable de se rendre compte de la nature de la montagne qui surplombe, et de ne pas s’exposer à être englouti par une avalanche, comme il est arrivé dans le Wardwan à un chasseur anglais et à sa caravane. On doit savoir aussi que le vent remonte les vallées pendant le jour, et les descend pendant la nuit.

Il ne pleut pas dans la région où j’arrive, le Baltistan — Petit Thibet ; — la fonte des neiges, les torrens et leur canalisation y sont l’unique ressource de la végétation : la rivière de Sooroo apporte à la rivière de Dras une masse d’eau semblable à la sienne, et bientôt les deux ensemble se rendent à l’Indus. Grands flots qui se creusent de plusieurs mètres, formant des abîmes aussi terribles qu’à la mer avec leur courant effroyable et les écueils des berges et des roches éparses. Partout les mêmes rochers pâles, menaçans et déchirés, aux formes démantelées en gigantesques ruines : des tours, des aiguilles dressées ; et, près du torrent, — souvenir des grandes forêts fleuries du Kashmir, — les tamaris en fleurs à côté des cyprès nains, de jolis saules, des abricotiers, et, semés dans le chaos des pierres écroulées, d’énormes buissons de rosiers surchargés de roses épanouies. Je leur souris toute seule au passage, les remercie d’être si belles.

Le camp de Karghil, le dernier poste télégraphique, est situé dans un îlot planté d’abricotiers au milieu d’un croisement de torrens mugissans ; et tout à coup ce sable fin et granitique qui avoisine la vallée de l’indus se soulève en poussière avec la soudaineté des phénomènes atmosphériques dans ces régions : c’est un véritable cyclone, un coup de simoun brutal. On va étouffer, on se précipite à banda (fermer) la tente, et dix minutes après, tout est fini, les toiles sont relevées, je fais servir le thé.

Le Baltistan, dont je côtoie la lisière, est musulman ; à