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ont un guide, et la confiance sans laquelle il n’est point de collaboration féconde s’établira entre nos deux magistratures.


II

Mais voici qu’après les témoins ordinaires, une déposition d’une nature toute spéciale va se produire devant le jury. C’est l’entrée en scène de l’expert.

Chacun reconnaît aujourd’hui que l’intervention mal réglée de l’expertise expose les jurés à de graves erreurs[1] : il est certain pourtant que cette intervention est de jour en jour plus importante, et que le rôle de l’expert en matière criminelle prendra dans l’avenir une extension qu’on peut à peine prévoir.

Pour le présent, les expertises amènent trop souvent des débats violens et confus, aboutissant à des verdicts étranges. On voit cette consultation, qui devrait être si calme et si technique, se transformer soudain en appareil de guerre. C’est l’arsenal où d’ignorantes mains vont puiser au hasard, pendant la lutte théâtrale, des traits et des raisons ! Discutée oratoirement, l’expertise bientôt perd son autorité, et partage les chances de tous les argumens produits au cours d’une discussion capricieuse.

Comment faire pour que ce document scientifique, que nul à la Cour d’assises ne peut discuter avec compétence, parvienne à s’imposer à tous ?

Pour que l’expertise obtienne un tel crédit, il faut d’abord qu’elle le mérite : elle ne peut le mériter qu’en devenant contradictoire. Cela signifie que, dans toute expertise, il faut que les intérêts de l’accusation et les intérêts de la défense soient séparément représentés. Deux experts seront désignés, l’un par le juge, l’autre par l’inculpé, et leurs conclusions seront prises en commun, après avoir été discutées contradictoirement. Dès lors nul n’aura plus à l’audience intérêt à combattre l’expertise ; le jury ne pourra concevoir aucune défiance ; et ce document essentiel prendra toute son autorité.

Comment organiser cette expertise contradictoire ? « Il faut, dit M. Guillot[2], que l’expert désigné par le juge et l’expert désigné par l’accusé aient les mêmes prérogatives, la même

  1. Voir Les erreurs judiciaires et leurs causes, par Maurice Lailler et Henri Vonoven, avocats à la Cour d’appel, Paris, Pichon, p. 97 à 117.
  2. Des principes du nouveau Code d’instruction criminelle, p. 205.