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mutuellement. Ainsi qu’il en informait l’Infante dans une longue lettre qu’il lui adressait de Paris, le 15 mars 1625, il rencontrait, en effet, des semblans de négociations déjà entamées dans cette ville par un certain de Bye, greffier des finances à Bruxelles. Mais, à son avis du moins, il n’y avait rien à tenter à ce moment du côté de la France qui, croyant de son intérêt de s’opposer à la conclusion d’une trêve, ferait le possible pour prolonger la guerre et amoindrir l’influence de l’Espagne en immobilisant ainsi ses troupes disponibles. S’excusant ensuite de parler, ainsi qu’il l’a fait, avec une entière franchise à la princesse, Rubens la prie de lui garder entièrement le secret, et à la fin, peu rassuré sur des divulgations possibles, il insiste même pour supplier l’Infante de brûler sa lettre.

Nous n’avons pas à suivre ici Rubens dans le détail compliqué des pourparlers auxquels il allait se trouver amené pendant ce séjour à Paris, et il nous suffira de dégager de sa correspondance les traits qui nous paraissent le mieux caractériser sa conduite et ses sentimens. S’il n’est pas entré de lui-même dans les voies où, sur les instances de la gouvernante des Pays-Bas, nous voyons qu’il s’est engagé, la chose faite, il ne négligera rien pour se rendre utile et en même temps pour se pousser lui-même. Avec la conscience qu’il a de sa supériorité, il n’est pas habitué à rester au second plan; mais, pour se faire valoir, il ne se prêtera jamais à une démarche peu correcte. Dans l’état de division et d’équilibre incertain où se trouvent alors les diverses nations de l’Europe, chacune d’elles doit se garder au moins autant de ses alliés que de ses ennemis. C’est à qui dupera le mieux ses voisins et tirera les plus gros avantages de ses défections. Les négociations se croisent donc, tortueuses, contradictoires, et, au moment même où l’on traite avec une des parties, on accepte, ou l’on fait sous main à la partie adverse, des propositions absolument opposées. Avec son esprit pénétrant, Rubens démêle vite cet écheveau embrouillé à plaisir ; là où les autres s’égarent et suivent des pistes fausses, il ne se laisse pas distraire de ce qui est essentiel. Il est parfois difficile, tant il met d’abnégation à servir ses maîtres, de découvrir quels sont ses propres sentimens; mais, tout en se conformant aux instructions qu’il a reçues, s’il juge que ses mandans se trompent, il essaie de les éclairer, et avec toutes les précautions que commande le respect qu’il doit à leur autorité, il donne franchement son avis. A travers les circonlocutions de la