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suivantes, fût-ce les dernières, offriront quelque chose d’atténué et de relatif. En nulle autre nous ne retrouverons un aussi fier mépris des conjonctures et des contingences, une intransigeance aussi farouche non pas même de la passion, mais de l’hallucination, de l’idée fixe et du rêve.

Le rêve, et le rêve allemand, voyez comme il s’est étendu, comme a grandi le cercle de son ombre, depuis la Flûte enchantée et le Freischütz, ces premiers chefs-d’œuvre rêveurs ! Le rêve effleurait seulement le front d’Agathe pensive ; il possède Senta tout entière, il est la condition, l’unique loi de son être. Et la nature ou la qualité même du rêve a changé. Ils venaient du dehors, de la nuit et des bois, ils entraient par la fenêtre ouverte de la maison forestière, les souffles qui faisaient tressaillir la fiancée de Max le franc-tireur. C’est le mystère des choses dont elle était troublée. Purement moral au contraire est le trouble de Senta ; les mystères de l’âme, et ceux-là seulement s’accomplissent, en son âme. Sur les amours de Max et d’Agathe, sur leur entretien et ; leurs adieux au second acte du Freischütz, plane une vague mélancolie. On sent autour d’eux je ne sais quelle influence et quels maléfices. Les choses pourtant se passent là comme dans la vie. Mais au second acte du Vaisseau Fantôme rien ne se passe que comme en songe. Quelle est donc cette première rencontre, muette et morne ! Quels étranges fiancés, tels que n’en vit jamais ce théâtre de l’Opéra-Comique, ordinaire berceau de plus riantes amours. Le Hollandais et Senta se regardent, se reconnaissent en silence, et leurs deux motifs, — vraiment on pourrait prendre le mot dans le sens philosophique autant que musical, — leur deux motifs s’énoncent et s’opposent à l’orchestre seulement. Ce ne sont pour ainsi dire pas deux créatures ou deux êtres, mais deux principes ou deux élémens, deux états d’âme plutôt que deux âmes en présence. C’est le malheur lui-même et la pitié en soi. Témoin pour la première fois de cette scène, il m’a semblé comprendre, mieux que je ne l’avais fait encore, pourquoi le drame musical de Wagner a été surtout symphonique, et par quelle affinité naturelle il se rapproche de la musique pure. Celle-ci ne représente pas des personnages qu’un sentiment anime. Son objet est le sentiment lui-même, indépendamment des individus qui l’éprouvent. Ainsi le plus grand des musiciens purs, Beethoven, a exprimé par les sons telle ou telle passion ; il n’a pas créé telle ou telle figure passionnée. Il a pour ainsi dire versé la vie et l’être en des réservoirs sans fond où chacun de nous ira puiser éternellement. Il a écrit une symphonie héroïque, et tous les héros peuvent s’y reconnaître ; une symphonie en ut mineur, et toute