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part, comment soutenir qu’on peut quadrupler le produit net d’un impôt, le porter de deux cent cinquante millions à un milliard, sans faire souffrir le pays de cette charge nouvelle ? Il est absurde de prétendre que les intermédiaires actuels sortiraient indemnes de cette révolution. En admettant que le consommateur paie son alcool le même prix qu’auparavant, c’est trois quarts de milliard que le commerce des spiritueux perdrait au profit de l’État. Mais des études attentives ont démontré que le petit verre à dix centimes ferait payer par les acheteurs la moitié de ces sept cent cinquante millions. Lavoisier nous a appris que rien ne sortait de rien et que, si rien ne se perd dans la nature, rien ne s’y crée. Il en est de même en finances. Ce qui tombe dans les caisses du Trésor est pris dans nos poches. Il est des nécessités d’ordre public et patriotique devant lesquelles chacun s’incline : mais il est monstrueux de vouloir bouleverser de gaieté de cœur une organisation qui fournit au budget le cinquième de ses recettes et substituer aux impôts auxquels nous sommes habitués, dont les effets sont amortis par le temps et l’usage, un régime nouveau, inconnu.

Ce régime ne tarderait pas à porter toutes les conséquences déplorables d’une industrie d’Etat. Dans un pays comme la France, où toutes les parties du territoire fournissent des céréales et des fruits susceptibles d’être distillés, la production d’alcool ne tarderait pas à dépasser les demandes des usines de rectification ; les fabricans de spiritueux se plaindraient à juste titre de ne pas savoir ce que deviendra leur industrie et d’être exposés à une mévente qui équivaudrait souvent à la ruine. L’Etat serait bien vite conduit à limiter et à réglementer la production de chacun ; il transformerait une industrie libre et énergique, occupée de chercher aujourd’hui ses débouchés au dehors, aussi bien qu’à l’intérieur du pays, en une corporation de fournisseurs, avec lesquels les contestations et les difficultés seraient innombrables.

L’étape suivante et inévitable serait la mainmise par l’Etat sur la fabrication même de l’alcool. Un monopole de rectification et de vente, tel qu’on nous le propose, se heurterait à une fraude si colossale, que les adversaires les plus résolus du système seraient obligés, pour des raisons fiscales, de consentir à l’expérience complète. Et voilà donc l’Etat distillateur ! Les socialistes s’en réjouiraient : car s’ils ont voté en faveur du demi-monopole que seul on ose nous proposer jusqu’ici, ils ont eu la franchise de