où il n’y a pas d’entrepôt public, les particuliers peuvent réclamer l’entrepôt à domicile lorsqu’ils font entrer en une seule fois quatre hectolitres d’alcool.
Affirmer que le monopole n’est pas attentatoire à la liberté équivaut à dire que l’Etat pourrait s’emparer de toutes les indus-trios, de tous les commerces, sans gêner la libre expansion de chacun de nous. Les fonctionnaires du gouvernement, érigés en acheteurs de trois-six, répartissant les commandes entre les milliers de distillateurs sur toute la surface du territoire, réunissant et rectifiant ensuite les produits dans les trois usines qu’on prétend suffisantes, concentreraient dans leurs mains un commerce et une industrie qui occupent aujourd’hui toute une classe de Français. A-t-on fait le compte de ce qu’il faudrait dépenser pour amener, de tous les points du pays où les achats seraient effectués, l’alcool à ces usines et le réexpédier ensuite sur tous les points du territoire ? Et après la rectification, on nous avoue qu’il faudra, pour flatter le goût du consommateur, additionner le liquide de bouquets aromatiques et d’essences. Or c’est le mélange de ces dernières que les hygiénistes attaquent le plus violemment. Pourquoi donc nous dire que les produits de l’Etat seront plus sains que ceux qui se consomment aujourd’hui ? Des analyses faites sur des alcools pris dans les Docks de Paris ont constaté qu’ils contiennent moins d’un millième d’impuretés.
Avoir la prétention de découvrir par l’analyse si l’alcool que détient un cabaretier vient des usines de rectification de l’Etat ou non, est encore une de ces chimères que ne peuvent énoncer froidement que des théoriciens rebelles à toute notion pratique des choses. Alors même que le fisc aurait à ses ordres l’armée de vérificateurs nécessaire pour des millions d’analyses, celles-ci seraient à coup sûr impuissantes à discerner la source des liquides.
Les calculs financiers sont la partie la plus amusante du système. Personne ne souffrira, nous dit-on. Le consommateur ne paiera pas un centime de plus ; les débitans auront une bonne moyenne de sept cent cinquante francs de bénéfice annuel assurée ; et l’Etat encaissera un milliard. Mais quelle est la poche magique d’où ce trésor sortira ? Voilà un problème plus malaisé encore à résoudre que celui de la bouteille irremplissable. Si vraiment les buveurs d’alcool ne sont pas appelés à augmenter leurs dépenses de ce chef et que le milliard doive entrer dans les coffres du fisc, ce sont donc les intermédiaires qui seront ruinés.