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Nous avons dit, au début de ce travail, ce qu’il faut penser de l’argument hygiénique. Nous avons montré aussi qu’il n’y a pas lieu de mêler à la question de l’alcool celle de dégrèvemens devant résulter d’une plus-value de recettes à lui demander. La division de la fraude n’empêche pas les bouilleurs de cru de faire des bénéfices illicites par petites quantités : quand une bouteille se vendra 4 francs, le moindre panier pourra contenir de quoi tenter la cupidité des délinquans. A propos de bouteille, nous devons rappeler que, lors de la première apparition du projet de monopole, la pierre angulaire du système était une bouteille magique qui, une fois vidée, ne pouvait plus se remplir. On nous déclarait que rien ne serait plus aisé que de construire ce récipient admirable, qui garantirait l’Etat contre toute malversation. Le génie des inventeurs ne paraît pas avoir répondu à ce qu’on attendait d’eux : il n’est plus question aujourd’hui du vase féerique. Nous ne connaissons pas non plus l’architecture du col métallique dont on prétend revêtir les bouteilles des fabricans de liqueurs, désireux de conserver une forme à laquelle leur clientèle est accoutumée. L’idée de vendre au même prix la bouteille pleine aux acheteurs ordinaires et la bouteille vide aux fabricans de liqueurs fines suppose chez ces derniers une naïveté ou une abnégation invraisemblables, à moins qu’il ne leur soit interdit de débiter leurs produits dans des bouteilles semblables à celles du fisc. A prix égal, ils ne refuseraient pas le litre d’alcool gouvernemental qui s’ajoutera à la bouteille. Il y aurait de ce chef dans le pays une consommation supplémentaire de quantités importantes d’alcool, qui ne viendrait précisément pas en aide à l’hygiène publique. Combien de fois d’ailleurs la bouteille sera-t-elle vidée et remplie tout en ne payant qu’une fois l’impôt !

D’autre part, quand on allègue que les nouvelles combinaisons affranchiraient les intermédiaires de la nécessité de faire des avances pour l’impôt, on feint d’oublier que l’impôt sur l’alcool en France est un droit de consommation. Bien que la prise en charge ait lieu chez le producteur, la perception du droit est différée jusqu’à la consommation. Il est fait crédit de l’impôt aux producteurs et aux intermédiaires. C’est ce crédit qui a rendu nécessaires la plupart des formalités de notre système : producteurs et marchands en gros peuvent garder indéfiniment toutes quantités d’alcool en leur possession ; les débitans eux-mêmes obtiennent dans certains cas la faculté d’entrepôt. Dans les villes