Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, bien que contradictoires, pouvaient également se soutenir.

Les mesures des panneaux données par l’architecte avaient été transmises par Peiresc à Rubens (7 et 8 avril 1622) et quelques modifications au programme primitif lui avaient aussi été prescrites : on avait supprimé le Conseil des Dieux et la Prise de Juliers, ainsi qu’un tableau que Peiresc appelle le Flamine et auquel il semble que Rubens tenait beaucoup[1]. Le 10 mai 1622, l’artiste soumettait le plan général de la décoration dont il avait lui-même peint les esquisses. Seize d’entre elles appartiennent aujourd’hui à la Pinacothèque de Munich, cinq autres au musée de l’Ermitage et une à celui du Louvre. L’étude de ces esquisses et leur comparaison avec les œuvres définitives sont tout à fait intéressantes. Il semble qu’on y voit jaillir vive et spontanée la pensée de l’artiste dans toute sa netteté. Dès ce premier jet, le sens du pittoresque se manifeste par la silhouette mouvementée des lignes, par la pondération des masses, par l’heureuse répartition des valeurs. Tous ces élémens très amples, très méthodiquement conçus, constituent la charpente même de l’œuvre ; elle a été formellement arrêtée pour qu’il n’y ait plus à la remanier au cours du travail. Quant aux colorations, elles sont, au contraire à peine indiquées et très amorties. A leur aspect effacé, on dirait des grisailles. Çà et là seulement quelques légers frottis marquent les nuances : des bleus, des roses, des lilas pâles et très dilués, sur lesquels des rehauts de blanc presque pur, posés dans la pâte encore fraîche, accusent les lumières. Le peintre tâte lui-même son terrain ; sur ce fond neutre et transparent, il peut, à son gré, suivant l’harmonie qu’il veut obtenir, faire dominer une tonalité ou en opposer plusieurs entre elles. Les esquisses sont très explicites à cet égard; laissées très claires et fort au-dessous du ton réel, elles maintiendront les collaborateurs du maître dans une gamme moyenne qui lui permettra de reprendre franchement leurs ébauches, sans craindre de tomber dans la lourdeur ou l’opacité.

Rien, on le voit, n’est livré au hasard. Avec une apparence de fougue, Rubens a tout réglé, tout prévu à l’avance. En même temps qu’il se renseigne lui-même pour l’œuvre définitive, il en prépare l’exécution par ses élèves. Comme il a perdu, avec le départ de Van Dyck, le plus intelligent et le plus habile de ses collaborateurs, il faut qu’il surveille de plus près les aides dont le

  1. Max Rooses, l’Œuvre de Rubens, III, p. 261.