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ne compte pour rien, nous venons de voir qu’il n’en est guère autrement des substantifs ordinaires, pour lesquels le progrès consiste précisément à s’affranchir de cette signification initiale. S’ils passent d’une langue à l’autre sans être traduits, ils ont cette particularité en commun avec beaucoup de noms de dignités, fonctions, usages, inventions, costumes, etc. S’ils participent un peu moins aux transformations phonétiques, cela tient au soin spécial avec lequel on les conserve, et ils ont encore ceci de commun avec certains mots de la langue religieuse ou administrative.

La différence avec les noms communs est une différence tout intellectuelle. Si l’on classait les noms d’après la quantité d’idées qu’ils éveillent, les noms propres devraient être en tête, car ils sont les plus significatifs de tous, étant les plus individuels. Un adjectif comme augustus, en devenant le nom d’Octave, s’est chargé d’une quantité d’idées qui lui étaient d’abord étrangères. D’autre part, il suffit de rapprocher le mot César, entendu de l’adversaire de Pompée, et le mot allemand Kaiser, qui signifie « empereur », pour voir ce qu’un nom propre perd en compréhension à devenir nom commun. D’où l’on peut conclure qu’au point de vue sémantique les noms propres sont les substantifs par excellence.


IV

S’il est vrai, comme on l’a prétendu quelquefois, que le langage soit un drame où les mots figurent comme acteurs et où l’agencement grammatical reproduit les mouvemens des personnages, il faut au moins corriger cette comparaison par une circonstance spéciale : l’imprésario intervient fréquemment dans l’action pour y mêler ses réflexions et son sentiment personnel, non pas à la façon d’Hamlet qui, bien qu’interrompant ses comédiens, reste étranger à la pièce, mais comme nous faisons nous-mêmes en rêve, quand nous sommes tout à la fois spectateur intéressé et auteur des événemens. Cette intervention, c’est ce que je propose d’appeler le côté subjectif du langage.

Ce côté subjectif est représenté : 1° par des mots ou des membres de phrase ; 2° par des formes grammaticales ; 3° par le plan général de nos langues.

Je prends pour exemple un fait divers des plus ordinaires :