simplement deux dialectes, il se fait un travail de classement, qui consiste à attribuer des rangs aux expressions synonymes. Selon qu’un idiome est considéré comme supérieur ou inférieur, on voit ses termes monter ou descendre en dignité. La question de linguistique est au fond une question sociale ou nationale. M. J. Gilliéron décrit les effets produits par l’invasion du français dans un patois de la Suisse<ref> Le patois de la commune de Vionnaz (Bas-Valais), dans la Bibliothèque de l’École des hautes études, 1880. </<ref>. A mesure qu’un mot français est adopté, le vocable patois, refoulé et abaissé, devient vulgaire et trivial. Autrefois la chambre s’appelait paîlé : depuis que le mot chambre est entré au village, pailé désigne un galetas. En Bretagne, dit l’abbé Rousselot, les jardins s’appelaient autrefois des courtils : maintenant que l’on connaît le mot jardin, une nuance de dédain s’est attachée à l’appellation rustique. Peu importe que les deux termes soient de même origine. Le Savoyard emploie les noms de père et de mère pour ses parens, au lieu qu’il garde pour le bétail les anciens mots de pâré et de maré. Chez les Romains, coquina signifiait « cuisine » : l’osque popina, qui est le même mot, désigna un cabaret de bas étage.
On dira peut-être que ces mots sont naturellement différenciés par les choses qu’ils désignent et qu’on ne les a jamais comparés entre eux. Ce serait soutenir que l’intelligence populaire n’est pas capable de fixer deux objets à la fois. Je crois, au contraire, qu’il y a eu comparaison, et que le terme populaire doit à cette comparaison une déchéance qui autrement ne se comprendrait pas. En matière de langage, la signification est le grand régulateur de la mémoire ; pour prendre place dans notre esprit, les mots nouveaux ont besoin d’être associés à quelque mot de sens approchant. Le peuple a donc ses synonymes, qu’il dispose et subordonne selon ses idées. A mesure qu’il apprend des mots nouveaux, il les insère parmi les mots qu’il connaît déjà. Rien d’étonnant à ce que ceux-ci subissent un déplacement, un recul. Aussi longtemps qu’il y aura des populations qui se mêleront, on aura à constater de nouveaux exemples de la répartition. Pour en arrêter les effets, il faudrait mettre des douanes au langage.
Ce que le peuple fait d’instinct, toute science qui se forme, toute analyse qui s’approfondit, toute discussion qui veut aboutir, toute opinion qui veut se reconnaître et se définir, le fait avec la même spontanéité. Platon, voulant combattre les idées de