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elle veut marcher l’égale ? C’est le problème du temps présent. Comment se résoudra-t-il ? Nul ne le peut dire.

Ce qui est présumable, si ce divorce continue, c’est qu’un grand nombre de conservateurs, découragés, se retrancheront dans l’indifférentisme, refuge déjà de beaucoup, et que la démocratie, perdant l’équilibre faute de contrepoids, tombera dans les bras des charlatans ou des scélérats. Mais, ce qui est certain, c’est que le fleuve ne reviendra pas en arrière. Le tempérament de la nation, après cette douloureuse élaboration de plus d’un siècle, est fixé sans retour. Les classes dirigeantes n’existent plus ; leur influence politique est perdue ; avec le suffrage universel, le peuple est devenu souverain. Déléguât-il sa souveraineté, le maître qui la recueillerait ne serait que son instrument et son image. La liberté peut être confisquée ; l’égalité démocratique ne disparaîtra qu’avec la France elle-même.

M. de Montlosier écrivait pendant l’émigration : « C’en est fait ; la révolution a envahi toute la France. Il faut entrer dans cet amalgame, tel qu’il est, y chercher notre place et se persuader qu’on n’y sera pas reçu avec la valeur de son ancienne existence. » Le conseil que M. de Montlosier donnait, il y a cent ans, n’a rien perdu de son actualité. Puissent les descendans mieux comprendre que leurs aïeux.


II

L’évolution démocratique est la caractéristique de ce siècle. Elle se fait partout, ici lentement et à petit bruit, là violemment et avec fracas. Il n’y a en Europe qu’une nation qui échappe à l’universel ébranlement : c’est la Turquie, figée qu’elle est dans l’immobilité de la dictature et du fanatisme. Le monde chrétien se transforme sous l’action d’une force cachée ; il est en travail d’un état social nouveau. Ce mouvement n’aboutira-t-il qu’à un mécompte ? Les pessimistes l’affirment. Quel que soit l’avenir, le présent appartient aux ambitions du peuple, qui partout s’élève, et çà et là domine. Ces ambitions sont parfois déréglées dans leurs manifestations. Comment nier qu’elles soient légitimes dans leur principe ?

Elles viennent, par une descendance directe, du christianisme lui-même. Les idées de liberté, d’égalité, de fraternité, que les révolutions appellent leurs conquêtes, n’ont pas été apportées