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religieux, au progrès de l’immoralité ? Non. Les conservateurs ont eu des chefs pleins de talent, et des soldats pleins de vaillance ; ils ne sont pas des croyans assez ardens, ni des puritains assez irréprochables pour que la nation s’effraie beaucoup de leur foi ou de leurs vertus. La cause de leur impopularité est autre : elle est dans le dédain mêlé de crainte que leur inspire l’avènement de la démocratie. Ce n’est pas qu’à leurs heures ils ne se donnent pour des démocrates ; ils se croient même les meilleurs amis du peuple. Malheureusement, ils ont une façon d’être ses amis qui n’est pas de son goût. Napoléon demandait un jour à une grande dame étrangère ce que l’Europe pensait de lui. « Les anciennes cours, répondit-elle, vous aiment comme les vieilles femmes aiment les jeunes. » C’est le genre d’affection que les classes dirigeantes ont pour les nouvelles couches ; et celles-ci, qui se savent maîtresses, ne leur en ont aucune gratitude. Cette maîtrise, les conservateurs n’en veulent à aucun prix. De ce qu’ils sont les mieux nés, les mieux rentes, les mieux élevés, ils se croient les conducteurs nécessaires de la société. Ils l’ont été et le seraient encore, s’ils avaient été plus prévoyans et plus unis ; mais ils n’ont su, ni céder à temps, ni s’entendre à propos. Ils se sont jalousés, combattus et perdus.

Le peuple, qu’ils ont, chacun à leur tour, appelé sur le champ de bataille, leur a servi d’allié jusqu’au jour où, se voyant le plus fort, il s’y est installé en vainqueur. Mis à l’écart, ils ne se sont aperçus qu’ils étaient joués que lorsque la partie était perdue. Alors l’indignation les a pris ; elle ne les a plus quittés. « Comment, on les a dépouillés du pouvoir : mais le pouvoir est leur bien. Les intrus qui l’usurpent sont et resteront des incapables ! » Comme leurs objurgations ont laissé les nouveaux maîtres insensibles, ils se sont réfugiés dans leur dignité, se répétant les uns aux autres le mot de de Harlay au duc de Guise : « C’est grand dommage, quand le valet chasse le maître. » De ce hautain dépit est sorti le désaccord qui explique toutes les défaites. Qu’il soit né, on le comprend ; personne n’aime à partager, encore moins à céder sa place. Qu’il dure et soit devenu chronique, on ne s’en rend compte qu’en regardant les élémens dont se compose le parti conservateur.

À sa tête, ce qui reste de l’ancienne noblesse, accru du contingent fourni par la nouvelle. Les origines sont diverses ; l’esprit est à peu près le même, les derniers venus tenant fort à marcher