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l’éducation avait été très négligée, ces seigneurs que la guerre réclamait dès l’âge de douze ou treize ans, ces grandes dames que l’on instruisait surtout, dans les couvens, à prier Dieu et à se présenter avec grâce, apprenaient très vite, en vivant à la cour, ce qu’on ne leur avait pas enseigné. La fréquentation des personnes distinguées, l’usage du monde, l’habitude des conversations délicates développaient la finesse de leur esprit et leur donnaient ce sens droit qui de lui-même choisit les mots et les tours les plus conformes au génie naturel de notre langue. Vaugelas s’est mis à leur école. C’est en les écoutant qu’il a rédigé ses Remarques sur la langue française, livre excellent, où le XVIIe siècle s’est formé, que Racine emportait avec lui quand il quittait Paris, qu’il lisait et annotait à Uzès, pour être sûr de ne pas désapprendre à parler français.

Vaugelas s’occupa dix ans du dictionnaire et le poussa jusqu’à la lettre I. Sa mort fut une grande perte pour l’Académie. Pour comble de malheur, comme il avait, suivant le mot ingénieux de Pellisson, « beaucoup moins de bien que de mérite », ses créanciers saisirent tous les papiers qu’on trouva chez lui, et le dictionnaire avec eux. Il fallut plaider pour le ravoir, ce qui perdit du temps. Quand on se remit à l’ouvrage, l’ardeur primitive s’était fort attiédie. Le travail marcha si lentement que Colbert, qui aimait qu’on allât vite en besogne, finit par se fâcher. On raconte qu’il vint un jour à l’Académie, où il n’était pas attendu, très disposé à faire des remontrances à ses confrères et à leur reprocher leurs lenteurs. Mais quand il vit par lui-même combien il est difficile de définir exactement un mot, d’en préciser le sens et l’usage, de chercher les épithètes qui s’y joignent naturellement, d’expliquer les phrases et les proverbes où il s’emploie, il dit, en se levant, qu’il voyait bien qu’on ne pouvait pas aller plus vite. « Ce témoignage, ajoute notre récit, doit être d’autant plus considéré qu’on sait que jamais homme dans sa place n’a été plus laborieux et plus diligent. »

Il crut pourtant devoir prendre quelques mesures pour que le travail ne se ralentît pas. Les académiciens avaient eu de tout temps le défaut de n’être pas très assidus aux séances. « La pénultième fois, écrit Chapelain à un de ses amis, l’Académie ne fut composée que d’une personne. » Richelieu, qui n’était pas d’humeur patiente, prit un moyen violent pour faire cesser ces absences scandaleuses. « Il fit dire à tous ceux qui étaient de l’Académie d’avoir à opter dans trois jours : ou de s’engager à y