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compliment qu’il venait d’entendre. » Après quoi, le maître des cérémonies ramenait la compagnie dans le salon où il l’avait prise. D’ordinaire la journée s’achevait gaîment. Tantôt un des académiciens de la cour, le marquis de Dangeau, par exemple, invitait ses confrères à dîner et « les traitait avec beaucoup de magnificence » ; tantôt c’était le roi qui faisait les frais du repas et qui commandait à son premier maître d’hôtel « de bien régaler l’Académie. » Il est probable que le maître d’hôtel se piquait d’accomplir exactement la recommandation du roi, car Bussy-Rabutin, qui assista à l’un de ces dîners, écrit à sa fille : « Nous fûmes six heures à table où la santé du protecteur de l’Académie ne fut pas oubliée. »


IV

Il est difficile de s’occuper de l’Académie française sans parler du dictionnaire ; on ne peut guère les séparer. C’est le premier travail qu’elle ait entrepris, et elle n’y a jamais renoncé. Pellisson rapporte que, dans la séance du 20 mars 1634, avant qu’elle ne fût régulièrement constituée, comme on se demandait ce qu’on ferait, Chapelain fut d’avis que l’on composât tout d’abord « un ample dictionnaire », et que cette proposition fut acceptée de tout le monde.

Rien n’était plus naturel. À ce moment s’éveillait chez nous un grand orgueil national ; on avait le pressentiment de la place que la France allait prendre dans le monde, et l’on comptait qu’elle y serait puissante par les lettres comme par les armes. La première fois que l’Académie prit la parole, elle exprima la pensée que « notre langue, plus parfaite déjà que pas une des autres vivantes, pouvait bien succéder à la latine, comme la latine à la grecque. » Cette espérance devait paraître alors fort téméraire. Il n’y avait pas longtemps que les langues modernes s’étaient émancipées de la tyrannie du latin ; beaucoup de gens doutaient encore qu’elles fussent propres à exprimer rien de sérieux et de durable. Pellisson lui-même avait d’abord partagé ce préjugé ; il nous dit que, dans sa jeunesse, on avait eu grand peine à l’arracher à son Térence et à son Cicéron, et que « ce n’est qu’après qu’il eut rencontré les pamphlets de Sirmond et les lettres de Balzac qu’il commença non seulement à ne plus mépriser la langue française, mais à l’aimer passionnément et à croire