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protecteur qui avait besoin lui-même d’être protégé. A défaut du roi, elle aurait probablement choisi un de ses ministres, comme elle l’avait fait deux fois de suite. Les ministres sans doute duraient alors plus qu’aujourd’hui ; cependant ils n’étaient pas inamovibles et à l’abri de tous les accidens. Il pouvait se faire que celui qu’aurait choisi l’Académie fût renvoyé, comme Fouquet, et sa disgrâce serait retombée sur tous ceux qui s’étaient mis à son ombre. D’ailleurs, il est bon que le protecteur ne soit pas trop près du protégé ; il pèse moins sur lui s’il est placé à quelque distance. Un roi, par sa situation même, est plus étranger qu’un autre aux mesquines jalousies et aux basses intrigues, il plane au-dessus des coteries, il a moins d’amis et d’adversaires, et son indifférence garantit son impartialité. Les élections n’étaient pas entièrement libres, sous les deux premiers protecteurs. Richelieu avait dit sans doute aux amis de Conrart « qu’ils pouvaient augmenter leur compagnie ainsi qu’ils le jugeraient à propos » ; mais eux, qui le connaissaient bien, avaient grand soin de ne choisir que des gens qu’il aimait. Une seule fois, ils y manquèrent[1], et le protecteur fut de si méchante humeur qu’on se promit bien de ne plus recommencer. Séguier était moins exigeant que l’impérieux cardinal. Il mettait plus de forme dans ses recommandations, ce qui les rendait peut-être encore plus efficaces : comment répondre par un refus à un homme si aimable et si poli ? Aussi fit-il entrer sans peine tous ses « domestiques » à l’Académie. Le désir qu’on avait de lui complaire faillit même une fois amener un grand scandale. Quand Maynard mourut, en 1647, Corneille et Ballesdens se présentèrent pour le remplacer. Corneille avait fait le Cid et Rodogune ; quant à Ballesdens, il n’était connu que par quelques traductions que Pellisson lui-même, si bon pour ses confrères, trouve très médiocres. Mais « il avait l’honneur d’être à M. le chancelier », et l’Académie ne savait à quoi se résoudre, quand Ballesdens se fit justice à lui-même et céda la place à Corneille.

Avec Louis XIV on était moins exposé à des accidens de ce genre. Sans doute, les choix de l’Académie lui étaient soumis, et il avait le droit de ne pas les approuver ; mais, en quarante-deux ans, il n’en a usé que deux fois, ce qui vraiment n’est guère, et encore de ces deux refus un seul avait quelque importance[2]. En 1683,

  1. Au sujet de l’élection de Porchère Laugier « qu’il regardait comme un homme qui avait eu de l’attachement avec ses plus grands ennemis. »
  2. En 1704, le roi refusa d’approuver l’élection de M. de Tréville, un grand seigneur homme d’esprit qu’il trouvait trop ami de Port-Royal. Cette élection du reste avait paru surprendre quelques personnes.