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La proposition fut d’abord mal accueillie. Tout le monde comprit que du moment qu’on allait « former un corps », c’est-à-dire une société régulière, avec des lois et des règles fixes, c’en était fait de l’aimable familiarité des réunions antérieures. Mais ce qui devait effrayer surtout, c’était de s’assembler « sous une autorité publique ». On pouvait croire que Richelieu avait l’intention de mettre la main sur la littérature comme il avait fait sur le reste, et tout le monde savait alors ce que pesait la main du premier ministre. « On me mande, écrivait Balzac, que c’est une tyrannie qui se va établir sur les esprits, et à laquelle il faut que nous autres, faiseurs de livres, rendions une obéissance aveugle. Si cela est, je suis rebelle, je suis hérétique, je vais me jeter dans le parti des barbares. »

Balzac s’effrayait trop vite et Richelieu n’avait pas de si noirs desseins. Il aimait avec passion notre langue, qu’il parlait très bien, et il prévoyait à quelles grandes destinées elle était appelée. Mais il avait bien reconnu à l’usage qu’il lui manquait d’être mieux ordonnée et moins changeante. C’est à l’Académie qu’il voulait donner la tâche de corriger ses dérèglemens et de la rendre plus fixe. Pour qu’elle y réussît et que ses arrêts fussent respectés, il lui semblait qu’elle devait emprunter son autorité à celle de l’État ; il croyait que les lois du langage doivent avoir la même sanction que les autres pour posséder la même force. L’événement prouve qu’il ne s’est pas trompé. C’est à son caractère officiel que le dictionnaire de l’Académie doit son importance ; il a été, dès son apparition, la règle du langage ; et l’on est surpris de voir comment, à chaque édition nouvelle, les changemens qu’il enregistre sont vite acceptés par l’opinion.

De là sont venues encore d’autres conséquences auxquelles il est vraisemblable que Richelieu ne pensait pas. En accordant à l’Académie une sorte d’investiture officielle, il semblait l’associer de quelque manière à l’autorité souveraine. On comprend que cette situation ait contribué à donner à l’homme de lettres un sentiment de sa dignité qu’il n’avait pas auparavant. Tandis que Malherbe prétendait « qu’un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles », Racine, en recevant à l’Académie le successeur de Corneille, s’élève contre les ignorans « qui rabaissent l’éloquence et la poésie et traitent les habiles écrivains de gens inutiles dans les États ». Puis il ajoute ces belles paroles : « Quelque étrange inégalité que durant leur vie la