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sociétés mondaines, car le goût des lettres était alors très vif et il y avait une foule de salons ouverts dans Paris où les poètes étaient fort recherchés. Mais Pellisson nous dit que nulle part ils ne se plaisaient autant que chez Conrart. « Là ils s’entretenaient familièrement, comme ils eussent fait en une visite ordinaire. Que si quelqu’un de la compagnie avait fait un ouvrage, comme il arrivait souvent, il le communiquait volontiers à tous les autres, qui lui en disaient librement leur avis ; et leurs conférences étaient suivies tantôt d’une promenade, tantôt d’une collation qu’ils faisaient ensemble… Quand ils parlent encore aujourd’hui de ce temps-là et de ce premier âge de l’Académie, ils en parlent comme d’un âge d’or, durant lequel, avec toute l’innocence et toute la liberté des premiers siècles, sans bruit et sans pompe, et sans autres lois que celles de l’amitié, ils goûtaient ensemble tout ce que la société des esprits et la vie raisonnable ont de plus doux et de plus charmant. »

Mais une pareille intimité exige qu’on ne sorte pas d’un cercle très restreint. Aussi les amis de Conrart s’étaient-ils engagés à ne parler de leur réunion à personne, et pendant quelque temps ils tinrent exactement leur parole. Malleville fut le premier qui y manqua ; par ses indiscrétions il donna à Faret le désir de s’introduire dans la petite société ; Faret à son tour y amena Desmarets Saint-Sorlin et Boisrobert. Cette fois l’indiscrétion était grave et devait avoir des suites importantes. Boisrobert vivait dans la familiarité du cardinal de Richelieu et il avait pour principale fonction de le distraire et de l’égayer. En l’absence des gazettes, qui ne commencèrent d’exister qu’un peu plus tard, il le tenait au courant de toutes les petites nouvelles de la ville et de la cour[1]. On pense bien qu’il ne négligea pas de lui parler de la réunion à laquelle on l’avait admis. Richelieu, dont l’esprit était fécond en projets et qui sans doute avait déjà songé à trouver quelque moyen d’organiser la littérature, comme tout le reste, fut frappé des paroles de Boisrobert ; il vit tout de suite le parti qu’on pourrait tirer de cette réunion dont on lui faisait un tableau si séduisant, et demanda si ceux qui la composaient (il faut ici reproduire les paroles du maître) ne voudraient point faire un corps et s’assembler régulièrement sous une autorité publique.

  1. Tous ces récits prenaient dans la bouche de Boisrobert un charme particulier ; il excellait à raconter. « Il avait souverainement, nous dit d’Olivet, le don de cette niaiserie affectée « qui est familière à Caen. »