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En 1629, Antoine Godeau, qui plus tard entra dans les ordres et devint évêque de Grasse, vivait à Dreux, où il était né, et composait des vers galans qui faisaient l’admiration de ceux auxquels il voulait bien les montrer. Mais il ne lui suffisait pas d’être admiré dans sa petite ville, et il désirait se faire connaître aux beaux esprits de Paris. Précisément, il était le cousin de Conrart, un secrétaire du roi, qui cultivait aussi les Muses et fréquentait beaucoup les gens de lettres. A sa demande Conrart en rassembla quelques-uns chez lui, et Godeau vint leur lire ses poésies. Il faut croire que cette réunion leur causa un plaisir très vif, puisqu’ils désirèrent la renouveler. « Comme ils étaient logés, nous dit Pellisson, en divers endroits de Paris, et ne trouvaient rien de plus incommode, dans cette grande ville, que d’aller souvent se chercher les uns les autres sans se trouver, ils résolurent de se voir un jour de la semaine chez l’un d’eux. » Conrart demeurait au coin de la rue Saint-Martin et de la rue des Vieilles-Étuves, « au cœur de la ville », à peu près à égale distance des autres ; il était commodément logé pour recevoir ses amis ; c’est donc chez lui qu’ils prirent l’habitude de se réunir. Leur nombre n’était pas considérable ; Pellisson nous en a laissé la liste. Ils étaient neuf, de professions différentes, les uns attachés à la maison de quelque grand personnage, comme secrétaires ou cliens, ou, pour parler la langue du temps, en qualité de « domestiques », d’autres portant le petit collet et pourvus de quelque bénéfice qui les faisait vivre, mais tous fort épris des lettres et faisant leur unique métier de les cultiver. La plupart composaient de petits vers, qui d’ordinaire n’étaient pas imprimés, et qu’ils allaient lire dans les réunions de gens du monde. C’était alors un moyen sûr de se mettre en renom. Voiture, qui fut le roi des gens d’esprit de son temps, et dont la réputation se répandit de salon en salon jusque dans les pays étrangers, n’avait pas publié une ligne ; c’est après lui que son neveu songea à recueillir ses lettres et les fit paraître chez Courbé. On comprend que d’autres, pour qui on n’a pas pris la même précaution, soient aujourd’hui parfaitement inconnus, après avoir été presque célèbres de leur vivant. Dans la liste des amis de Conrart, telle que nous la donne Pellisson, il n’y a guère que le nom de Chapelain dont on se souvienne, et sa célébrité n’est pas de celles qui sont très dignes d’envie.

La plupart d’entre eux fréquentaient en même temps d’autres