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d’ordinaire assez d’à-propos pour se prêter à toutes les circonstances : elle s’y montre aisément égale sans rien perdre d’elle-même, et la pitié qu’elle exprime de si haut n’en pénètre que plus profondément dans des cœurs qui, après avoir été affligés et meurtris, ont besoin d’être rassurés et apaisés. Évidemment, tout le monde ne l’a pas compris ainsi ; mais il y aurait une souveraine injustice à tirer d’un fait individuel des conséquences et une condamnation générales. C’est pourtant ce qui est arrivé. Dès l’ouverture de la session parlementaire, M. Brisson a éprouvé le besoin de répondre, du haut de son fauteuil présidentiel, au prédicateur de Notre-Dame. Chaire contre chaire ! L’éloquence profane a paru du même ordre que l’éloquence sacrée. A son tour, elle a énoncé un dogme, dogme laïque, mais qui n’en est pas moins sévère, aride et désolant, en ce que, à l’affirmation d’un Dieu qui châtie sur les innocens les fautes des coupables, il a paru substituer la négation même de toute divinité, enlevant ainsi une consolation suprême à ceux qui, frappés dans leurs affections les plus chères, veulent espérer qu’ils ne l’ont pas été sans compensation et sans retour. Pourquoi, à propos d’un événement qui aurait dû nous unir tous, et qui, en effet, nous avait tous unis au début, pourquoi soulever les controverses doctrinales, affirmer les opinions dogmatiques les plus propres à nous diviser ? De quelque côté que soit venu le premier tort, le dernier n’en est pas moins condamnable. Tout le monde pensait et sentait de même, le 5 mai au matin, lorsque la nouvelle de l’événement de la veille s’est répandue dans Paris et dans le monde entier. Le 18, il n’en était déjà plus ainsi. Deux camps s’étaient reformés l’un contre l’autre, autour du brasier à peine éteint du Bazar de la Charité, comme s’il y avait dans cette appellation même une dernière et persistante ironie.

M. le comte de Mun a répondu par une lettre publique au discours de M. Brisson. Nous comprenons très bien l’émotion qu’il a éprouvée et qu’il a tenu à exprimer. Il ne s’agissait pas seulement pour lui de défendre des idées et des sentimens qui lui sont chers, mais aussi de protester contre l’usage très étrange fait par M. Brisson de son autorité présidentielle. De quel droit en effet, à quel titre M. Brisson a-t-il cru pouvoir répondre au Père Ollivier ? S’il n’avait vu dans le discours de Notre-Dame qu’une occasion d’affirmer à son tour ses convictions personnelles, nous nous bornerions à dire que le Palais Bourbon était pour cela un lieu fort mal choisi. Mais ce qui a le plus choqué dans son discours, c’est l’excès de pouvoir qu’il constituait. Le fauteuil présidentiel n’est pas un piédestal, du haut duquel on peut proclamer une espèce de religion d’État. Le président de la Chambre n’avait pas qualité