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moindre fréquence dans la note absurde, qui cependant ne fait jamais défaut ; que, s’ils n’étaient pas fous, ils étaient épileptiques sans le savoir ; que, l’identité du génie et de l’épilepsie nous est prouvée surtout par l’analogie dans les champs visuels, dans le retard de l’équation personnelle de l’écriture, par le rapport de l’accès épileptique avec la crise de l’inspiration, par cette inconscience active et puissante, qui dans l’un crée des chefs-d’œuvre, dans l’autre produit des convulsions. » Vous vous imaginez que Darwin avait toujours été sain d’esprit. Déplorable erreur ! C’était un névropathe, il ne pouvait supporter ni le chaud ni le froid, ni les longues conversations ; il souffrait de dyspepsie, d’anémies spinales, de vertiges, et les vertiges sont dans bien des cas l’équivalent de l’épilepsie ; au surplus il était à moitié bègue, et comme Socrate, il avait le nez court et aplati, avec de grosses et longues oreilles. M. Lombroso est un terrible homme : il pourrait en remontrer aux deux docteurs qui prouvèrent à M. de Pourceaugnac, par des argumens irréfutables, qu’ils voyaient clair dans sa constitution et qu’il était fou à lier.

Une autre preuve de l’affinité du génie et de la folie, c’est qu’elle produit souvent dans les cerveaux dérangés « une véritable génialité temporaire. » Dans un chapitre intitulé : Le Génie chez les fous, M. Lombroso déclare en connaître beaucoup qui sont devenus peintres, écrivains, philosophes. L’un d’eux, qui n’était qu’un pauvre revendeur d’éponges, lui dit un jour : « Nous ne mourons pas ; quand l’âme est usée, elle se fond et se transforme ; en effet, mon père ayant enterré un mulet mort, on vit pousser au lieu de sa sépulture des champignons en grand nombre, et les pommes de terre, qui d’habitude étaient fort petites, furent plus grosses du double. » — « Voilà, s’écrie M. Lombroso, un esprit vulgaire qui, éclairé par la verve de la manie, découvre des théories auxquelles arrivent à peine les grands penseurs ! » On voit que, très sévère pour les grands penseurs, il est fort indulgent pour les fous. Mais, si indulgent qu’il soit, il convient que, philosophes, artistes ou poètes, ils ont des goûts bizarres, qu’ils tombent facilement dans l’absurde, et que la marque distinctive de leurs découvertes, quand d’aventure ils en font, est de ne pouvoir servir à rien.

Ne les méprisez pas, il ne leur a manqué que des circonstances plus heureuses pour égaler tel grand homme, que vous admirez trop. Témoin Bosisio de Lodi, qui n’était qu’un mattoïde, c’est-à-dire un demi-fou, et les demi-fous ont moins de dispositions que les fous pleins et achevés à devenir des génies. A vrai dire, Bosisio avait eu l’avantage d’avoir, comme Beethoven, un père ivrogne, ce qui est une