lo boire. « L’idée de la psychose du génie, nous dit-il, m’était souvent venue à l’esprit, mais je l’avais toujours repoussée. Il m’avait été donné déjà de surprendre dans le génie plusieurs des caractères de dégénérescence qui sont la base et le signalement de presque toutes les aliénations congénitales… si bien que j’acceptais les faits, non leurs dernières conséquences. Comment en effet se défendre d’un sentiment d’horreur à la pensée d’associer aux idiots, aux criminels, ceux-là mêmes qui représentent les plus hautes manifestations de l’esprit humain ? »
Mais les faits étaient constans, avérés, authentiques ; il a fallu, coûte que coûte, se rendre à l’évidence et tout compté, tout rabattu, M. Lombroso s’est avisé qu’après tout sa théorie avait son côté consolant, qu’elle venait à l’appui du système des compensations, qui veut que tout avantage acquis ait sa rançon, que tout gain soit accompagné d’une perte. « Les reptiles, dit M. Lombroso, ont plus de côtes que nous : les singes, les quadrumanes possèdent un plus grand nombre de muscles et un organe entier, la queue, qui nous manque. C’est seulement en perdant ces avantages que nous avons conquis notre supériorité intellectuelle. » L’homme qui réussit à se convaincre que son esprit baisserait subitement de trois crans s’il avait une queue, se console bien vite de n’en point avoir, et enseigner que le génie est une psychose, c’est réconcilier avec leur sort tous les esprits médiocres ou au-dessous du médiocre. Ils se féliciteront même de n’avoir aucun genre de talent, car, selon M. Lombroso, « l’homme détalent, même sans génie, offre de légères, mais réelles anomalies, qui donnent lieu à de fâcheuses réactions pathologiques, dont on retrouve les traces dans la dégénérescence de ses enfans. »
A la vérité, il est rare qu’ainsi que l’homme de génie, l’homme de talent descende de fous et de névrotiques, et il ne lui arrive pas souvent d’être, comme Beethoven, le fils d’un franc ivrogne, heureuse circonstance sans laquelle il n’eût jamais composé la Symphonie pastorale. « Mais si le génie est l’effet d’une irritation intermittente et puissante d’un grand cerveau, le talent s’accompagne, lui aussi, d’une excitation corticale, quoique à un moindre degré et dans un moindre cerveau. Le véritable homme normal est celui qui travaille de ses mains et qui mange : fruges consumere natus. » Que cet homme normal s’accoutume à considérer les hommes de génie et même les hommes de talent comme des dégénérés, n’éprouvant plus pour eux une superstitieuse admiration, il aura en revanche plus de respect pour les fous. Par ces analogies et ces coïncidences entre les phénomènes du génie