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MM. Benjamin-Constant et Jules Lefebvre ne sont pas, tant s’en faut, des artistes indifférens aux conseils du passé. On peut même dire d’eux, à leur louange, comme on a pu le dire de Reynolds, de David, de Prudhon, d’Ingres, de Baudry, de Ricard, de Delaunay, qu’ils ne cessent de retourner à l’école. L’admiration d’Ingres, depuis quelques années, a notamment apporté à M. Benjamin-Constant, d’abord plus exclusivement coloriste, des qualités nouvelles de force et de style ; mais si cette admiration se traduit chez lui, d’une façon marquée, par certaines parentés d’exécution, on n’y peut voir pourtant ni la soumission d’un imitateur servile, ni l’abnégation d’un pasticheur indifférent ; on y suit, au contraire, le travail personnel de l’artiste en progrès qui se complète chaque jour par l’assimilation et par l’observation. L’œuvre la plus importante de M. Benjamin-Constant, le portrait en pied de S. A. R. Mgr le Duc d’Aumale, excitait déjà la curiosité, avant que le crêpe funèbre déposé au pied du cadre n’y attirât chaque jour le pèlerinage des visiteurs respectueux. Aujourd’hui l’on croit voir une sorte de pressentiment dans le choix que le prince avait fait d’un paysage d’automne, sous un soleil pâle, pour s’y asseoir, muet et pensif, au retour d’une promenade ou d’une chasse, et dans cette expression générale de fatigue mélancolique qui, de son vivant, avait surpris jusqu’à ses familiers, tant elle semblait contraire à la vaillance toujours virile de cette âme fièrement accoutumée aux injustices du sort autant que résolue à n’en point laisser amollir son courage, ni troubler son intelligence, ni lasser sa bonté. C’est avec une émotion visible que le peintre a étudié cette noble figure, et cette émotion même semble avoir, en quelques parties, retenu la virtuosité habituelle de son pinceau ; l’aspect de son œuvre n’a pas, semble-t-il, d’un bout à l’autre, notamment dans la tenue du corps, dans l’accent de la physionomie, dans leur liaison avec le paysage, la résolution magistrale qu’on était en droit d’y chercher, Avec la figure plus familière et plus simple de M. Ernest Chauchard, à mi-corps, M. Benjamin-Constant a retrouvé toute sa décision. L’épanouissement du visage frais et ouvert, avec ses rougeurs franches, entre les blancheurs vives des cheveux courts et des longs favoris, la carrure solide et paisible du corps, la fermeté vigoureuse des mains grasses et souples, sont rendus avec la franchise assurée d’un excellent dessinateur et d’un beau coloriste.