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« Trêve de la Nature. » Pierre l’Ermite partait pour la croisade en s’écriant : « La Nature le veut ! », et le petit poisson de La Fontaine lui-même ne devait plus compter sur « Dieu » pour lui « prêter vie ». Les conseillers municipaux étaient inflexibles sur ce point. J’ai causé avec quelques-unes des personnes chargées alors de répandre cette instruction, et elles en ont gardé une stupeur qui dure encore. Leurs petites élèves ne s’occupaient que de politique, méprisaient leurs parens parce qu’ils travaillaient, et se rendaient en « monômes » aux portes des églises pour insulter les premières communiantes. L’une des femmes qui formaient cette jeunesse était la veuve d’un ancien général de la Commune, et les souvenirs de ses anciennes collègues deviennent ici tellement vifs qu’ils ne peuvent plus se raconter.


V

Une inquiétude, et qu’on ne pense même pas à cacher, tourmente en ce moment le monde de l’enseignement. Plus on se met en frais pour les écoles, plus on en bâtit, plus on en ouvre, et moins on y va. Plus la République offre aux populations son instruction gratuite, laïque et obligatoire, et plus la population scolaire diminue. Ici encore, c’est la statistique ministérielle qui parle, et certains rapports qualifient même de « foudroyante » cette dépopulation d’un nouveau genre. « Espérons, écrit le rapporteur de 189S, qu’ici se cache quelque erreur, quelque jeu de chiffres… S’il fallait voir là le commencement d’un mouvement régulier de dépression, quelles alarmes ne devrions-nous pas concevoir, non seulement pour l’école, mais pour le pays ! » Et même inquiétude, même anxiété profonde, au sujet des institutrices, dans tous les propos, toutes les confidences, toutes les conversations des gens compétens, et d’une compétence officielle ! Ils doutent, ils ont peur, ils se demandent ce qu’ils font, et ne savent pas où ils vont. A-t-on raison de faire des institutrices les femmes qu’on fait d’elles ? On n’en est pas sûr ! Est-il bon d’en faire des libres penseuses et ne devrait-on pas en faire plutôt des chrétiennes ? Qui sait ? Sont-elles honnêtes ? Oui. Le seront-elles longtemps ? Question. Que sont-elles quant à présent ? On ne se plaint pas encore trop. Que seront-elles demain ? On tremble. Vous n’entendez pas un maître sensé, une maîtresse ou une directrice raisonnables, un fonctionnaire sérieux, dont la pensée ou le silence ne se résume dans ces formules alarmées. Vous ne lirez pas, dans les recueils